Marguerite
venu les aider.
Armés de bâtons et de fourches, trois hommes tentaient de cerner un porc qui courait dans tous les sens dans la cour de la ferme des Lareau, une famille d’habitants du chemin de la Petite Rivière.
— Je le tiens! Sacrédié, tu croyais t’en sauver, hein?
lança le maître des lieux d’un ton de défi { la bête, vaincue, qui grognait misérablement. Apporte vite la corde, cria-t-il à Noël, son fils aîné, un jeune homme d’environ seize ans déjà bien bâti, tandis que les deux autres hommes accouraient pour aider à maîtriser le cochon.
— Le malin ! Regardez-moi ça se débattre comme un diable dans l’eau bénite ! ricana Joseph Lareau, le frère de François.
— Ça ne veut pas rendre l’âme sans combattre, souffla bruyamment François en maintenant l’animal de tout son poids pendant que les autres liaient les pattes. Le gros cochon pesait bien quatre cents livres.
La bête, exceptionnelle, suscitait admiration et respect.
— Tout un animal que vous avez là, fit avec envie la femme Tétrault.
C’était jour de boucherie chez les Lareau, et parents et voisins étaient venus prêter main-forte à la saignée du cochon. Les premiers jours de décembre ramenaient toujours ce même rituel. L’arrivée des jours froids permettait de faire geler la viande, et les habitants du chemin de la Petite Rivière pouvaient préparer leurs provisions pour l’année. Un animal qui nourrissait la famille était aussi un animal qu’on n’avait pas { entretenir durant les longs mois d’hiver.
Une fois immobilisé, le condamné fut couché sur la paille de la grange. François fit signe à sa femme.
— C’est le temps, dit-il simplement.
Victoire Lareau s’avança, tenant solidement un immense poêlon qu’elle glissa sous la gorge de l’animal, tandis que son mari s’approchait avec un long couteau soigneusement aiguisé. D’un coup net, il trancha la gorge du cochon. Le sang gicla. Des hourras saluèrent l’exploit et les hommes, s’offrant une rasade de rhum bien méritée, relatèrent avec force détails la mise à mort, se rappelant en riant d’anciennes anecdotes.
Lorsque l’ustensile de Victoire fut rempli, elle versa le sang frais dans une cuve. La voisine, qui se tenait prête, prit la relève avec une deuxième poêle.
— Marie, viens par ici, ordonna Victoire.
A l’appel de la mère, une fillette de huit ans accourut.
Cette dernière promettait déj{ d’être la compagne idéale d’un bon cultivateur. Marie n’aimait rien de plus que d’aller aux champs, accompagnant son père et ses frères pendant les moissons. Assurément, une fois mariée, cette jeune rustaude dunnerait de nombreux enfants.
La mère tendit { l’enfant une grosse spatule de bois. La fillette savait quoi faire. Elle remua avec précaution le précieux liquide pour ne pas qu’il fige. C’était l{ le secret d’un bon boudin. Tantôt, Marguerite, la fille aînée, ajoute-rait ce qu’il fallait d’herbes et d’épices avant d’enserrer la préparation dans les boyaux bien nettoyés du cochon. Le soir même, tous se régaleraient.
Pendant le sacrifice, les plus jeunes enfants, effrayés par les hurlements stridents de la bête agonisante, avaient couru vers la maison pour se réfugier dans les bras de leur grande sœur qui se tenait loin. Tout comme eux, Marguerite, malgré ses dix-sept ans, ne s’habituait toujours pas à ces scènes de boucherie. Mais il fallait bien manger. Un cochon bien gras remplissait les barils du saloir de bon lard, donnait des jambons qu’on suspendait { fumer dans Pâtre et de bons morceaux qu’on conservait gelés dans la glacière, une petite construction en pierres située près de la maison.
Des femmes venaient d’époiler la carcasse au feu de paille. Une insupportable odeur de roussi se répandit dans la cour.
— Ho ! Hisse ! crièrent en chœur les hommes en soulevant la bête pour l’installer sur l’échelle de la grange. Ils l’attachèrent solidement, puis retournèrent vers le baril de rhum pour une dernière rasade.
Ces derniers jours, Marguerite Lareau avait donné un coup de main aux voisines qui, à tour de rôle, préparaient charcuteries et tourtes à la viande pour la période de réjouissances de fin d’année. La jeune fille avait acquis la réputation d’être la meilleure cuisinière du chemin de la Petite Rivière.
Elle n’avait pas son pareil pour doser les assaisonnements et apprêter les viandes. Mais ce
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