Marguerite
Rouville la traitait en dame, mais elle voyait toute l’indignation du monde peinte sur le visage de sa tante restée dans l’embrasure de la porte.
— Je vous l’avais prédit, murmura-t-elle vivement à son mari, nos filles savent maintenant et Sophie est profondé-
ment perturbée.
— Ma chère, ne vous tracassez pas de tout cela. Je parlerai { nos filles. J’ai fait atteler et monsieur de Rouville raccompagnera notre nièce chez son oncle Lagus où l’attend son père. Auriez-vous l’obligeance de faire apporter son manteau ?
— Je vais en donner l’ordre, répondit la dame en sortant de la pièce, fâchée.
Monsieur Boileau s’avança vers la jeune fille, les bras ouverts.
— Allons, allons, ma chère nièce, quelle triste mine pour une fiancée! fit joyeusement le bourgeois. Voici monsieur de Rouville, qui souhaite te féliciter pour tes prochaines épousailles.
— Mon oncle, balbutia-t-elle. Merci ! ajouta-t-elle dans une petite révérence { l’intention du noble seigneur.
Celui-ci attrapa sa main gauche tout en examinant Marguerite affectueusement.
— Marguerite, crois-moi, tout ira bien. Tu me fais confiance, n’est-ce pas ?
— Oui, mon oncle. Vous êtes bien bon.
— Monsieur le colonel de Rouville, ici présent, servira de témoin { ton futur époux. N’est-ce pas là une nouvelle réjouissante ?
Marguerite pâlit. Monsieur de Rouville à son mariage !
Mais il ne pouvait pas. Son fils croirait à une manigance de sa part et finirait par mettre ses menaces à exécution.
— Et je tiens à être dans les honneurs à la naissance de votre premier-né, ajouta gaiement le colonel. Si c’est un garçon, nous l’appellerons Melchior, comme son parrain.
Nous demanderons à madame Leguay, la femme du notaire, d’être ma commère. Qu’en dites-vous, ma chère ?
L’estomac noué par l’angoisse, Marguerite écarquilla les yeux. Le seigneur de Rouville, parrain ! Et dire que la coutume voulait que le grand-père soit habituellement parrain d’un premier-né. Son oncle se méprit de son air épouvanté :
— Ma chère enfant, je comprends que tu sois impressionnée : un si grand seigneur qui t’offre son amitié ! Sache, ma belle nièce, qu’il tient en grande estime ton futur mari.
Tu feras plus ample connaissance avec le parrain de ton enfant en chemin. Va, ma chère petite, et dis à ta mère toute mon affection. Telle que je la connais, elle doit se ronger les sangs. Répète-lui ce que je viens de te dire. Tout ira bien.
Embrasse-moi plutôt, fit-il. Nous nous reverrons dans quelques jours pour ton mariage.
«Il ne manque plus que la dispense, pensa Monsieur Boileau, inquiet, malgré son sourire rassurant à Marguerite.
Si Monseigneur peut enfin se décider.»
*****
Après le départ de ses visiteurs, Monsieur Boileau fit chercher Emmélie. Lorsque sa fille aînée pénétra dans son antre, il referma doucement la porte derrière elle.
— Maintenant que tu connais le malheur de ta cousine, causons, ma fille. J’aimerais bien que tu me racontes {
nouveau tout ce que tu sais. Ta cousine t’a-t-elle fait des confidences ?
— Tout cela est tellement curieux. Le docteur Talham l’épousera, mais ce n’est pas lui le père de son enfant. Je n’y comprends rien, mais j’ai vu que Marguerite avait terriblement peur.
— J’en ai l’impression, moi aussi. C’est pourquoi j’aimerais bien que tu m’expliques { nouveau tout ce dont tu te souviens du jour de la Saint-Martin. Raconte-moi tout ce que tu sais et surtout, n’omets aucun détail, même s’il t’apparaît insignifiant.
— Bien, père, approuva Emmélie.
Tout en essayant de ne pas rompre la promesse qu’elle venait de faire à sa cousine, elle se confia à son père. Après les confidences de Marguerite, des détails de l’incident lui revenaient. Elle se rappelait l’avoir trouvée inconsciente et misérable, gisant sur la paille. Plus tard, à la maison rouge, avant que tout le monde ne revienne de la fête chez les Rouville, Emmélie avait fait coucher Marguerite dans son lit. Elle n’avait aucune blessure apparente, sauf quelques ecchymoses au bras, avait constaté la jeune fille en retirant les vêtements qu’elle avait dissimulés aux yeux de Sophie et de madame Boileau, à la demande de sa cousine. Les jours suivants, elles avaient réparé les hardes déchirées. Marguerite ne voulait pas qu’on en parle. Emmélie avait cru que cette dernière craignait les reproches de sa
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