Marguerite
guère.
Mais le jeune était toujours { court d’argent et venait régulièrement quémander sa mère, tout le village savait cela. Les deux hommes étaient arrivés. Ils accrochèrent leurs lourds manteaux au portemanteau de l’entrée et Boileau invita Rouville à le suivre dans son cabinet privé.
*****
Emmélie se demandait pourquoi Marguerite avait l’air si triste. Cela ne lui ressemblait pas. Normalement, elle aurait applaudi { l’invitation de ses cousines et insisté auprès de son père pour qu’il lui accorde sa permission. Au lieu de ça, elle baissait les yeux, l’air contrit, comme si quelqu’un allait prononcer contre elle une terrible sentence. «C’est la faute au sermon du curé», se répéta Emmélie en apportant la chocolatière et les tasses. Elle aussi avait été ébranlée par le ton vindicatif du prêtre. Rarement avait-on vu messire Bédard être si sévère du haut de sa chaire. D’ordinaire, Emmélie prenait plaisir à écouter l’homélie du curé. Elle appréciait son éloquence et ses propos mesurés. Il prêchait fermement, mais avec douceur, en méditant longuement sur une sainte parole, et ses paroissiens l’écoutaient religieusement. Le curé pouvait se vanter de conserver l’attention des fidèles jusqu’au ite missa est. Même sa sœur Sophie, qui aimait se rendre { l’église tant pour exhiber sa dernière toilette que pour prier - elle était toujours ravie lorsqu’on lui demandait de passer la quête ou de distribuer le pain béni - avait été bouleversée par le sermon dominical. Sauf peut-être la demoiselle de Rouville, qui devait avoir l’esprit ailleurs ce matin. Emmélie l’avait vue bâiller discrètement derrière son mouchoir. Elle avait eu l’intention de l’inviter pour ce chocolat, persuadée que Julie aurait apprécié l’invitation, mais {
la sortie de la messe, la demoiselle était déjà partie.
On aurait dit que le discours du curé en chaire semblait destiné à une seule personne, se dit encore Emmélie, qui avait surpris des paroissiens à hausser les épaules. Certains avaient même baissé les yeux. Ils avaient sans doute quelque chose { se faire pardonner, s’était dit Emmélie.
— Tu n’étais pas { la messe de la Chandeleur, l’autre jour, lança Sophie à Marguerite sur un ton de mère supérieure.
Marguerite contemplait le récipient fumant posé devant elle sans répondre.
— Tu ressembles à notre mère en disant ça, dit Emmélie.
Laisse donc Marguerite tranquille.
— Tu dois être folle de joie { l’idée de te marier ! déclara Sophie, radoucie. Mais pourquoi tes parents te font épouser notre docteur avec ses manières d’un autre siècle ? Il est si vieux !
— Tu l’ennuies avec tes questions, fit sa sœur en cherchant à retenir le regard fuyant de Marguerite.
Les jeunes filles étaient assises dans le petit cabinet de leur mère, comme elles le faisaient souvent pour bavarder avant le dîner. C’était une pièce charmante avec son petit sofa recouvert de soie jaune et sa table en cerisier qui permettait de servir le thé ou le chocolat. Leur mère y recevait les dames de ses amies. Le long du mur orné d’une tapisserie de Bruxelles étaient alignées plusieurs chaises recouvertes de toile de Jouy et une table de jeu qu’on tirait pendant les soirées. Assise sur le rebord du sofa, Emmélie versa le chocolat dans les tasses de porcelaine bleue.
— Je n’aurais jamais cru voir messire Bédard en colère, fit Sophie avec une moue capricieuse.
— J’ai l’impression qu’il s’adressait { quelqu’un en particulier, commenta Emmélie en tendant une tasse à sa cousine. Comme s’il était au courant d’une forfaiture, mais ignorait le nom du coupable. Marguerite, prends ta tasse.
Marguerite ?
La jeune fille était perdue dans ses pensées.
— Oui, merci Emmélie, répondit-elle timidement.
— Assez de cachotteries, badina Sophie en prenant un air faussement sérieux. Parle-nous de ton mariage. Dire que tu seras la première de nous trois à te marier ! Allez, Marguerite, je veux tout savoir de tes mystérieuses fiançailles. Je savais bien que le docteur te faisait la cour, à la dernière Saint-Martin ! proclama-t-elle, triomphante. Pourquoi ne l’as-tu pas dit, cachottière ?
— C’est vrai, c’est un secret. Je t’en supplie, Sophie, n’en parle pas à qui que ce soit, la conjura Marguerite.
— Pour l’amour du ciel, explique-toi !
Sophie semblait furieuse tout
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