Marguerite
a convaincu le docteur de m’épouser pour me sauver de la honte et préserver la réputation de la famille. Le curé a accepté de bénir le mariage, mais { la condition expresse que personne n’en sache rien. A cause du mauvais exemple, tu comprends.
— Ma pauvrette, fit Emmélie en la prenant dans ses bras d’un geste consolateur. Certes, le docteur est un homme généreux, mais ce n’est tout de même pas suffisant. Peut-
être était-il secrètement amoureux de toi, comme le prétend Sophie ?
— Je ne sais pas, je ne crois pas. Mais je dois l’épouser.
Je n’ai pas le choix, je dois donner un père { l’enfant, protéger ma réputation et sauver ma famille de l’infamie. On m’a assurée que le docteur souhaitait avoir des héritiers et qu’il croyait que je lui ferais une bonne épouse. Je pense qu’il m’épouse surtout par amitié pour ta famille.
— Mais ce n’est pas lui le père, n’est-ce pas ? demanda Emmélie dans un souffle.
Elle se disait qu’il en fallait bien un, même si elle n’avait qu’une vague idée de comment se passaient ces choses-là !
C’était si difficile d’en parler.
Marguerite baissa la tête, incapable de soutenir le regard franc de son amie. Elle ne pouvait lui révéler tout son secret.
— Non, ce n’est pas lui. Quelqu’un m’a forcée, avoua-t-elle finalement.
— Forcée ? Mais pourquoi dis-tu que c’est ta faute ? Et quand est-ce arrivé? Oh, mon Dieu! s’exclama Emmélie en revoyant la scène dans l’écurie des Rouville. Ton jupon déchiré, ta jupe abîmée. . C’était ce jour-l{ ? Quelqu’un t’a violentée. Mais c’est trop horrible !
Emmélie était bouleversée. Elle posait les questions et les réponses lui venaient. Elle enlaça affectueusement Marguerite.
— Mais qui a fait ça ? Tu dois le dire pour qu’il soit puni.
— Je ne peux pas. Il a juré qu’il me tuerait !
— Te tuer? Mais c’est impossible, voyons. La famille te protège, plus personne ne peut te faire de mal maintenant.
— Non, non, il me tuera, j’en suis sûre. Il me l’a dit. Et il en est bien capable !
Marguerite se mit à pleurer.
— Si tu savais, hoqueta-t-elle. Il était beaucoup plus fort que moi. J’ai peur, Emmélie. Et tellement honte. .
Jure-moi.
— Je déteste jurer, Marguerite.
— Mais pour l’amour de moi, je t’en supplie, jure-moi que jamais tu ne diras à quiconque ce que je viens de te dire !
— C’est très bien, je jure de ne jamais révéler ce que tu viens de me confier, déclara Emmélie solennellement. Mais l’amour, Marguerite ? Que fais-tu de l’amour dans tout ça ?
Et de René ? demanda-t-elle finalement dans un murmure précipité.
«L’amour de René est { jamais perdu», songea la triste fiancée, le cœur rempli de désespoir.
— L’amour!
s’exclama
finalement
Marguerite.
Quel
amour, Emmélie ? Il n’y a plus d’amour. L’amour, c’est quelque chose d’impossible.
*****
Madame Boileau jeta un regard sévère aux jeunes filles.
Elle confina Emmélie à sa chambre et somma Marguerite de l’accompagner, car son oncle avait émis le souhait de lui parler.
Penaude, Marguerite la suivit jusqu’au cabinet particulier de Monsieur Boileau. Elle n’était jamais venue dans cette pièce, sanctuaire incontesté du maître de maison, où nul ne mettait les pieds sans y être dûment mandé. Deux bibliothèques, dont les étagères ployaient sous des livres aux belles reliures faites de cuir fin et des piles de manuscrits, couvraient tout un mur. Posée sur une petite table, une précieuse longue-vue, dont Monsieur Boileau se servait pour observer les nombreux oiseaux qui sillonnaient le ciel au-dessus du bassin de Chambly et dans les îles Saint-Jean, scintillait comme un diamant. Au mur étaient accrochés deux fusils. Près du poêle, il y avait une commode sur laquelle étaient posés une aiguière et un bol à barbe, ainsi que le semainier qui contenait un rasoir et ses sept lames.
Monsieur Boileau était assis à sa table de travail où trônaient une belle écritoire en cuir, plusieurs plumes, un couteau à aiguiser, de l’encre et une rame de papier.
Sur une chaise aux pieds tournés de pur style Louis XV, le colonel de Rouville contemplait son verre rempli d’un liquide ambré. Il sourit avec bienveillance en apercevant Marguerite et se leva pour la saluer d’un baisemain.
— Bonjour, mademoiselle Lareau.
Marguerite était bien incapable de répondre. Monsieur de
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