Marguerite
son cru l’épisode du bon curé qui s’était démené comme un diable dans l’eau bénite pour obtenir rapidement la dispense de bans, et Françoise Bresse, suspendue à ses lèvres, écoutait avidement, quoiqu’avec un certain scepticisme. «Monsieur Boileau insiste trop, » pensa-t-elle.
— Vous connaissez les évêques qui aiment à ce que tout soit fait à leur manière, poursuivait Boileau. Monseigneur a exigé un mariage privé.
Voil{ que c’était finalement la faute de l’évêque s’il avait fallu en passer par là. Remarquable trouvaille, se félicita Boileau, in petto.
— Privé ? Et quel genre de mariage privé ? demanda Françoise.
— Eh bien, voil{. Il s’agit d’un mariage discret que nos évêques - trop sévères, je dirais, en matière de mariage, quoique je comprenne que le rituel soit strict pour prévenir les dérives des basses classes - accordent aux gens bien nés.
Emporté par son lyrisme, Boileau serait monté sur une tribune s’il y en avait eu une { sa portée.
— Ah ! L’amour ! Que de joies, mesdames ! Heureusement, poursuivit-il en revenant sur terre, le curé a bien compris la délicatesse du sentiment de notre ami le docteur et a bien voulu l’avantager. La jeune fille en était la première ravie, croyez-moi. Que voulez-vous : l’amour a ses raisons, comme on dit souvent. Quel beau mystère, n’est-ce pas, ma chère Falaise ? fit-il en désignant sa femme qui trouvait franchement que son mari en faisait trop. Imaginez ! Parmi tous les gentilshommes des Trois-Rivières qui courtisaient cette jolie demoiselle, badina-t-il, c’est moi qu’elle a choisi.
Pendant que Monsieur Boileau relatait l’histoire archi-connue de ses amours avec celle qui fut mademoiselle de Gannes de Falaise, Françoise Bresse se réjouissait secrètement de ce mariage. Quelques fois, elle avait surpris les regards enamourés entre Marguerite Lareau et René Boileau, se demandant ce qu’il adviendrait de cette idylle. Et maintenant qu’elle avait sa réponse, elle recommença { soupeser les chances de voir une de ses deux jeunes sœurs épouser un jour le fils Boileau, sachant que ce dernier pouvait très bien attendre d’avoir la trentaine entamée avant de convoler. Il n’était pas rare de voir des hommes se marier { cet âge-là, et ses sœurs avaient le temps de grandir et de devenir des jeunes filles accomplies. A preuve, le mariage du docteur Talham qui avait certainement plus de quarante ans. A elle de veiller à ce que les jeunes belles-sœurs du marchand Bresse deviennent des partis convoités.
Content d’avoir étourdi son auditoire, Boileau se rassit enfin pour attaquer sa part de gâteau.
— Il faut toutefois y mettre les formes, émit la première demoiselle une fois que le bourgeois eut la bouche pleine.
— Oui, les règles admises par les gens de la société, ajouta sa sœur.
«Comme celles qui ont régi les amours de votre jeune sœur», se disait la dame Boileau, qui aurait bien aimé couper court au sempiternel chapitre sur la grandeur de la noblesse et du bon vieux temps où, soi-disant, tout allait si bien. Mais son éducation ne le lui permettait pas.
Elle compatissait avec les demoiselles, dont la famille n’était plus qu’un sépulcre des grandes familles canadiennes d’autrefois, mais ces vaines discussions l’épuisaient. La noblesse ne valait pas tripette. Son propre père, Charles de Gannes de Falaise, avait lâchement abandonné sa famille, et sa mère, Angélique de Coulon Villiers, avait dû se résoudre à quémander des pensions et à se faire boutiquière pour survivre.
Les temps avaient résolument changé. Les nobles réussissaient encore à obtenir des charges plus ou moins utiles, mais de nos jours, c’étaient les hommes d’action, comme Boileau ou Bresse, qui s’enrichissaient. Son mari, qui n’avait aucune prétention de noblesse, venait de se faire octroyer une charge de juge de paix à Chambly. Voilà comment était le monde maintenant !
— Si je me rappelle bien, reprenait malicieusement Boileau en posant son assiette sur un guéridon, le mariage de votre sœur Louise avec David Lukin a aussi eu lieu un mercredi, si tôt le matin qu’on n’y voyait guère { trois pas ?
— Ce marchand, fit l’une des demoiselles d’un ton dédaigneux qui déplut à Françoise, a profité de la jeunesse et de l’innocence de notre sœur.
— Heureusement, les enfants ont été baptisés { l’église, ajouta la seconde
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