Marguerite
jours-ci, j’oublie tout. Mais je peux vous en dire quelques mots. Il aime beaucoup l’Angleterre et fait un séjour chez un avocat afin de se familiariser avec le droit anglais. Il croit que cet apprentissage lui servira.
— Vous-mêmes, mes excellentes dames, vous affichez une mine resplendissante, constata le bourgeois d’humeur joviale.
— Fi monsieur ! riposta une des demoiselles, au bord de l’indignation. Vous dites cela pour vous moquer de notre fragilité naturelle !
— Tut, tut ! Je n’en crois rien, fit Boileau. Vous tenez de votre défunt père, mort dans son grand âge. Je dis que c’est plutôt vous qui suivrez mon cortège funèbre ! Mais quelle était cette nouvelle que vous évoquiez à l’instant?
Les demoiselles se turent { l’unisson. Françoise brandit la pelle à gâteau vers Boileau :
— Nous disions, hum ! qu’il y a beaucoup d’agitation {
Chambly ces jours-ci.
— Rien de nouveau. Quand ce ne sont pas les jours de marché, le changement de garnison, le passage des troupes vers Saint-Jean ou les cages de bois sur le bassin l’été, il reste le bruit des chalands et le bavardage des commères devant l’église, énuméra le bourgeois avec amusement.
Il attrapa une assiette de gâteau que tendait Françoise pour la passer à sa femme.
— Allons, mon ami ! dit aimablement son épouse en posant sa main potelée sur la manche de soie de son mari pour le rappeler { l’ordre. Ne taquinez pas notre chère voisine.
— Vous parliez sans doute de l’arrivée du sixième régiment du Royal Warwickshire, reprit plus sérieusement le bourgeois. Rouville m’en a fait part.
— Il vous a dit cela ce matin ? demanda insidieusement madame Bresse.
— Monsieur de Rouville a annoncé la venue d’un chirurgien anglais, ici, à la garnison du fort, coupa une demoiselle de Niverville.
— Vraiment? Vous me l’apprenez. Espérons que ce nouveau chirurgien soulagera notre ami Talham, toujours débordé, quoique je ne vois guère cet Anglais courir nos campagnes pour soigner les pauvres gens.
— Parlant du docteur Talham, j’ai cru le voir passer ce matin, très tôt, il faisait encore nuit, sur le chemin menant
{ l’église.
— Mais vous êtes très matinale, ma chère madame Bresse, fit malicieusement Boileau. Justement, à ce propos, mon épouse et moi venions aussi annoncer une grande nouvelle.
— Une grande nouvelle ?
— Le docteur Talham a épousé notre nièce, Marguerite Lareau, pas plus tard que ce matin, jeta le bourgeois d’un trait.
Les deux demoiselles se mirent à tousser, cherchant frénétiquement leurs mouchoirs tandis que Françoise contemplait son visiteur d’un air triomphant. Elle savait bien qu’il y avait quelque anguille sous roche { propos du docteur Talham.
— Vous nous en voyez fort surprises et. . enchantées, déclara-t-elle hypocritement. C’est en effet une. . curieuse nouvelle. Notre curé n’a pas annoncé ce mariage au prône, ce me semble ?
— Il est vrai que tout s’est décidé prestement. Le docteur était si fort amoureux de ma jeune parente, poursuivit Boileau en regardant Françoise avec insistance, qu’il a voulu l’épouser avant carême. Il ne pouvait plus attendre.
— N’est-ce pas un amour.. soudain ?
Françoise remarqua que madame Boileau n’affichait pas la même assurance que son mari. Mais derrière sa faconde, Boileau
cachait
aussi
sa
nervosité.
Il
se
leva
et arpenta la pièce, les mains derrière le dos, avant de se lancer dans un de ces discours qui rappelait l’ancien député.
— Ce fut un coup de foudre, comment dirais-je, automnal. A la dernière Saint-Martin, chez notre ami Rouville, le docteur avait remarqué { quel point notre nièce s’était épanouie - les splendeurs de cette journée d’automne lui ont révélé subitement les charmes et la grâce de Marguerite.
Il en est devenu fort épris. Mais il hésitait. Vous comprenez.. Son âge! Il avait peur d’être repoussé. Je l’ai vivement encouragé à se déclarer: ma chère Falaise a quasiment élevé cette petite comme une de nos filles, lui ai-je fait remarquer. Finalement, jouant d’audace, il fit sa demande aux parents. Comme je l’avais prédit, la demoiselle, vous vous en doutez, fut flattée d’avoir été remarquée par cet homme de grande valeur. D’ailleurs, Talham est bel homme. De la prestance, de la noblesse. .
Monsieur Boileau pérorait comme une donzelle. Il raconta ensuite avec quelques détails de
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