Marie Leszczynska
crocheteur. La reine lui a crié : “Comment se porte le duc d’Anjou ?” Le crocheteur a répondu : “Il est mort.” La reine a fait un grand cri ; heureusement une femme de chambre l’a soutenue, et le roi est sorti du lit pour venir la consoler ».
Les deux parents éprouvent une peine immense, aggravée par un sentiment de culpabilité, car le petit prince est mort sans avoir reçu le baptême. À cela s’ajoute une rumeur malfaisante qui circule dans Paris : l’enfant aurait été empoisonné par de la terre recueillie sur la tombe du diacre Pâris [8] , au cimetière Saint-Médard. Ce ragot, destiné à déstabiliser le roi, survient en pleine querelle janséniste. Et malgré la fermeture du cimetière, l’année précédente, le jour anniversaire de la mort du diacre attire la foule à l’église Saint-Médard. « Il y avait, écrit Barbier, à neuf heures du matin, plus de cinquante carrosses, plus de trois cents personnes de toutes sortes d’états, et des cierges à toutes les chapelles. » Bien que réduits au silence depuis que la bulle Unigenitus est devenue loi du royaume, les milieux jansénistes continuent de combattre sous le manteau. Et Marie ne cessera de trembler pour la vie de ses enfants.
Une cinquième fille dans la tristesse
Le chagrin n’altère en rien la sixième grossesse de la reine. Le 11 mai 1733, en fin d’après-midi, elle ressent les premières douleurs. La délivrance est si rapide que l’accoucheur n’arrive pas à temps. C’est Helvétius [9] , le médecin ordinaire de la reine, assisté de la garde de la reine, Mademoiselle Loisel, qui mettent au monde une cinquième fille. Quelle déception ! La future Madame Victoire
est très mal accueillie, à en juger par les commentaires de Barbier : « Cette nouvelle a jeté bien de la tristesse en cour, car la mort de Monsieur le Duc d’Anjou ne pouvait être réparée que par la naissance d’un garçon. Tout roule à présent sur Monsieur le Dauphin qui, à la vérité, est en bonne santé et est très aimable. »
Sur le conseil des médecins, Louis XV décide d’envoyer le dauphin et les jumelles profiter du bon air du château de Meudon tout l’été. Quant à la reine, qui vient de passer le cap des trente ans, elle se résigne tristement en attendant de courir les retrouver, sitôt relevée de ses couches.
Dans l’oratoire où elle s’isole pour prier et souvent pleurer, Marie passe en revue les cinq premiers mois de l’année, les plus douloureux qu’elle ait vécus jusqu’à présent. Elle a perdu deux enfants dont un garçon ; elle a des doutes sur la fidélité du roi ; et son père, son unique soutien, s’apprête à rentrer en Pologne au moment où elle est en plein désarroi.
1 -
Malgré le nombre important de décès causés par la petite vérole (variole), la pratique de l’inoculation eut beaucoup de peine à s’imposer en France. La renommée du médecin genevois Tronchin qui a inoculé les enfants du duc d’Orléans ayant suscité la jalousie des médecins de la cour, ceux-ci se sont opposés à cette mesure préventive. En dépit des conseils de Tronchin, la famille royale n’a pas été inoculée.
2 -
L’ondoiement est un baptême provisoire, où seule est donnée l’ablution baptismale, sans les rites ni les prières qui accompagnent le sacrement. Les princesses seront baptisées en 1737 ; l’aînée sera prénommée Marie Louise Élisabeth et la seconde Anne Henriette .
3 -
Arlette Farge, Dire et mal dire. L’opinion publique au xviii e siècle, p. 104.
4 -
La bulle Unigenitus ,promulguée par le pape Clément XI et publiée à Rome le 8 septembre 1713, condamnait cent une propositions extraites du livre du janséniste Quesnel , Réflexions morales sur le Nouveau Testament. Sur l’ordre de Louis XIV, le parlement de Paris l’avait enregistrée, sans l’approuver, le 15 février 1714. Elle deviendra loi de l’État le 24 mars 1730. Critiquée de toutes parts, la bulle a empoisonné la Régence et le règne de Louis XV.
5 -
Arlette Farge, ibid ., p. 105.
6 -
Après avoir orné la couronne du sacre de Louis XV, le Sancy a été fréquemment porté par Marie Leszczyńska en pendentif de collier.
7 -
C’est pourtant de cette maladie qu’il succombera en 1774.
8 -
Le diacre Pâris
(1690-1727) pratique un jansénisme poussé à l’extrême. Après sa mort, à l’âge de trente-sept ans, sa tombe du cimetière Saint-Médard attire des
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