Marie Leszczynska
d’un opéra. Tant de grâce et de talent ne peuvent laisser son amant insensible : il l’autorise à organiser des spectacles destinés à un public restreint dont ils établiront ensemble la liste des invités. Madame de Pompadour n’a plus qu’à constituer sa troupe d’amateurs, choisis parmi ses courtisans dévoués. Elle en rédige les statuts, inspirés de la Comédie-Française, et choisit pour directeur le duc de La Vallière
, protecteur de Voltaire et ami de Pâris de Montmartel
. Plus surprenant, le sous-directeur est Moncrif, le propre lecteur de Marie Leszczyńska.
La première représentation a lieu le 16 janvier 1747, dans la galerie donnant sur l’escalier des Ambassadeurs ; il s’agit de Tartuffe avec, semble-t-il, la marquise dans le rôle de Dorine. Assis sur une chaise, le roi trône au milieu des quatorze invités qu’il a lui-même choisis. Louis XV est ravi, au point de chuchoter à l’oreille de sa maîtresse : « Vous êtes la plus charmante femme qu’il y ait en France. »
Les séances du théâtre des Cabinets ne tardent pas à faire jaser. Marie Leszczyńska ne cache pas son mécontentement en apprenant que Moncrif en fait partie, sans lui avoir demandé son autorisation. Le dauphin et ses soeurs accusent la favorite de rendre le roi encore plus dépendant d’elle par le biais de distractions futiles. Les dévots redoutent une déchristianisation de la cour au contact des Encyclopédistes athées. Et quelques sages trouvent choquant que la marquise dilapide l’argent du Trésor royal en divertissements, à l’heure où la guerre ponctionne les Français.
Conscient que ces spectacles concurrencent les représentations officielles, Louis XV aimerait y impliquer la reine, mais il craint d’essuyer un refus. Il va donc se livrer à un marchandage : depuis longtemps, Marie souhaite offrir le bâton de maréchal au vieux comte de La Motte, qui a dirigé la malheureuse expédition de Dantzig où le comte de Plélo
a trouvé une mort atroce [8] . Le roi accepte d’accorder ce bâton si Marie se rend au théâtre. Marché conclu. « Le roi l’embrassa, raconte Luynes, et lui dit qu’il n’avait pas voulu lui proposer d’assister au dernier petit divertissement de ses cabinets, parce qu’il avait trouvé que la pièce qu’on y jouait était trop libre et ne lui convenait pas, mais qu’on en jouerait une un autre samedi qui pourrait l’amuser et qu’elle lui ferait plaisir d’y venir. »
Marie s’exécute le 18 mars 1747, en compagnie du dauphin et de Mesdames, la dauphine s’étant déclarée souffrante. Installée sur une chaise aux côtés de son époux, elle assiste au triomphe de la marquise dans Le préjugé à la mode , une comédie de Nivelle de La Chaussée dont le thème était plutôt malvenu en cette circonstance : un mari amoureux de sa femme n’ose le laisser paraître de crainte des railleries. Luynes remarque prudemment : « Le ridicule que l’on y voit donner à l’amour conjugal, a fait naître quelques réflexions sur la présence de la reine à un spectacle où Madame de Pompadour joue avec toutes les grâces et l’expression que l’on peut désirer. » Habituée à dissimuler ses sentiments, Marie applaudit la maîtresse de son époux tout en promettant de revenir.
Rapprochement diplomatique
Le lendemain de la représentation, un triste événement va empêcher la reine de tenir sa promesse : sa mère, Catherine Opalinska, meurt à Lunéville, victime d’une attaque cérébrale. Premier informé, Louis XV apprend la nouvelle dans la soirée du 22 mars par le messager de son beau-père. Il charge le confesseur de la reine de la prévenir avec ménagements. Marie s’effondre en larmes, se reprochant de n’être pas restée plus longtemps auprès d’elle, lors de son dernier séjour à Lunéville. Elle passe de longues heures en prière dans son oratoire, tandis que les enfants royaux et la dauphine adressent des lettres pleines de tendresse à leur grand-père.
Versailles prend le deuil pour six mois et met ainsi un terme aux spectacles du théâtre des Cabinets qui ne reprendront qu’à la saison suivante. Le 31 mai 1747, le roi rejoint l’armée du maréchal de Saxe à Bruxelles, soulagé de quitter l’atmosphère pesante du château dans ses tentures de deuil. Quant à Madame de Pompadour, elle se retire sur ses terres en attendant le retour du roi qui lui écrit régulièrement. Elle suit la progression des
Weitere Kostenlose Bücher