Marie Leszczynska
duchesse de Luynes
, dame d’honneur de la reine, son amie, chez qui les vieux courtisans allaient régulièrement. La reine y venait, y défendait toute étiquette ; on y jouait, et elle causait ou jouait. Le président Hénault
, Moncrif, Monsieur le comte d’Affry, revenu d’ambassade, y étaient tous les jours ; le fameux joueur de piquet, Monsieur le marquis de Razilly, capitaine aux gardes, tous les temps de sa garde ; enfin, presque toutes les vieilles dames du palais. C’était fort triste, mais c’était le moyen de se faire connaître et [d’obtenir] qu’en entrant on ne chuchotât pas sur votre nom, chose insupportable pour celui qui en est l’objet. »
La reine discourt avec aisance
Pour les jeunes aristocrates qui entrent à la cour, la société réunie autour de la reine appartient à la génération de la Régence, contrairement à celle du roi qui préfère la compagnie de jeunes gens gais, aimant la chasse et les femmes. Et pourtant, les amis de Marie sont de beaux esprits, bien en cour dans la société parisienne, par leur appartenance à l’Académie française ou par leur assiduité aux salons de Madame de Tencin
et de Madame du Deffand.
Toute l’assistance pratique l’art de la discussion en douceur et sans disputes. Avec une liberté totale, on parle des querelles qui secouent le monde des lettres et des arts ; on débat sur les récentes lectures et l’on commente les derniers événements du royaume. Un soir, le thème de la discussion porte sur les hauts faits militaires et chacun veut citer les exploits de son héros. Marie Leszczyńska s’adresse à Monsieur de Tessé
, son premier écuyer :
« Et vous, Monsieur de Tessé
, toute votre maison s’est aussi bien distinguée dans la carrière des armes.
— Ah, Madame, nous avons été tous tués au service de nos maîtres. »
Et Marie de répondre au milieu de l’hilarité générale :
« Je suis heureuse que vous soyez resté pour me l’apprendre ! »
Contrairement à ce qu’ont toujours écrit ses détracteurs, la reine paraît discourir avec beaucoup d’aisance. Luynes insiste d’ailleurs sur « ses saillies et reparties extrêmement vives » et sur son « ton de galanterie, accompagné d’esprit et de prudence ».
Toute personne qui dépasse les limites de la bienséance, comme c’est souvent le cas de Tressan, reçoit un gage : il doit écrire un cantique ou un poème sacré. Mais ce petit jeu anodin ne transforme pas l’assemblée en groupement de dévots purs et durs. À part la reine et la duchesse de Villars qui sont pieuses, le président Hénault
, Tressan, Moncrif et le comte d’Argenson ne sont que bien-pensants, formés à l’époque où religion et société faisaient encore bon ménage. En revanche, ils n’apprécient guère l’athéisme d’Helvétius
, d’Holbach ou de La Mettrie. Quant à la reine, elle fait preuve de tolérance puisque ce même Helvétius
, fils de son médecin, occupera longtemps la charge de maître d’hôtel dans sa Maison… avant de faire scandale lors de la publication, en 1758, de son premier essai philosophique intitulé De l’Esprit.
Informations et confidences politiques
Pendant une quinzaine d’années, ces réunions n’ont pas seulement servi à égayer les soirées de la reine ; elles lui ont aussi permis de s’informer sur l’état du royaume, d’avoir quelques nouvelles de sa chère Pologne et d’en savoir davantage sur les guerres qui secouaient l’Europe. C’était même, pour Marie Leszczyńska, son seul canal d’information puisque le roi ne l’a jamais associée au gouvernement du royaume… et qu’elle s’en est volontairement détachée, contrairement à sa rivale Madame de Pompadour !
Hénault
la renseigne abondamment sur les problèmes intérieurs de la France. Mais c’est surtout le comte d’Argenson qui apporte le plus d’informations. Après la disgrâce de Maurepas, en 1749, le ministre de la Guerre a renforcé sa position en récupérant certaines de ses attributions, dont le département de Paris et les Haras. Des rumeurs ont même laissé entendre qu’il pourrait devenir premier ministre, malgré l’hostilité forcenée de Madame de Pompadour.
En dépit d’un travail harassant et d’une santé délabrée, le comte passe régulièrement trois ou quatre heures quotidiennes chez la reine. Grâce à lui, Marie Leszczyńska suit la succession de bouleversements politiques qui vont conduire
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