Marie
sortit de la maison, foula sans
hésiter l’herbe humide de la nuit. Un quartier de lune découpait des
silhouettes imprécises sur la rive du lac. Elle s’en approcha avec prudence.
Ces dernières semaines, ses nuits avaient été si souvent ponctuées par cette
promenade nocturne qu’elle parvenait à se repérer aux seuls froissements des
feuillages dans la brise et aux clapotis des vagues.
Elle se
dirigea vers le muret d’appontage où l’on arrimait les barques de la maison. De
la main elle frôla les pierres, en trouva une plus large et s’y assit. Devant
elle, les joncs dressaient des murs opaques, s’avançant dans le lac à la
manière d’un couloir. Le ciel, en contraste, paraissait clair. Sur l’autre
rive, on devinait cette teinte bleue qui colore la nuit avant la venue de
l’aube.
Immobile,
elle s’apaisa. Comme si l’immensité du ciel peuplé d’étoiles la soulageait du
poids pesant sur sa poitrine. Les oiseaux demeuraient encore silencieux. On
n’entendait que la houle s’affalant sur les galets du rivage ou se déchirant
entre les joncs.
Elle
demeura ainsi un long moment. Immobile. Ombre parmi les ombres. Son angoisse,
ses doutes et même ses reproches la quittaient. Elle songea à Mariamne. A
présent, elle était heureuse de passer la journée à venir auprès d’elle. Leurs
adieux seraient pleins de tendresse. Rachel avait eu raison de l’empêcher de
partir trop brutalement.
Elle
tressaillit. Un bruit régulier résonnait à la surface du lac. Le frappement
sourd du bois contre le bois. Le heurt d’une rame contre le plat-bord d’une
barque, voilà ce que c’était. Un mouvement régulier, puissant mais discret.
Elle scruta les eaux.
Qui
pouvait mener une barque à une heure pareille ? Les pêcheurs, profitant de
la brise que levaient les premiers rayons de soleil, ne s’aventuraient jamais
sur le lac avant l’aube accomplie.
Inquiète,
elle hésita à filer réveiller les servantes. Se pouvait-il qu’un mari jaloux
ait envoyé des canailles tenter un mauvais coup ? Cela était déjà arrivé.
Plus d’une menace avait été proférée contre Rachel et sa « maison des
mensonges » par des hommes qui découvraient son influence sur leurs
épouses.
Avec
prudence, Miryem recula le long du mur d’appontement, se dissimula sous les
branches d’un tamaris. Elle n’eut pas à attendre longtemps. Bien visible sur la
surface du lac où miroitait le ciel éclairci de l’est, une barcasse étroite
apparut.
Le bateau
glissait sans à-coups. Un seul homme, debout à la proue, maniait la longue
rame. Parvenu au centre du couloir de joncs qui conduisait à l’appontement, il
s’immobilisa. Miryem devina qu’il cherchait à repérer le ponton.
D’un coup
habile, plus violent, plus long, il fit pivoter le bateau, le dirigeant droit
sur Miryem.
Une fois
encore elle songea à s’enfuir. Mais la peur l’immobilisa. Tandis qu’elle
cherchait à mieux le distinguer, quelque chose dans sa silhouette, dans sa
chevelure, dans sa manière de rejeter la tête en arrière lui parut familier.
Pourtant, c’était impossible…
Bientôt,
l’homme cessa de pousser la barque et la guida seulement de l’aviron. Un choc
signala que la proue avait buté contre le mur. L’homme fut effacé par l’ombre.
Puis soudain il se redressa avant de s’incliner pour lier un cordage à l’anneau
du pontage. La barque tangua. Il eut un mouvement vif, agile, pour se maintenir.
Son profil se dessina dans l’aube naissante. Miryem comprit qu’elle ne se
trompait pas.
Comment
était-ce possible ?
Elle
sortit de sa cache, s’avança.
Il perçut
la légère foulée de ses pas. D’un bond, il sauta sur le muret. L’éclat d’une
lame de métal griffa la pénombre. Elle prit peur, étouffant un cri, craignant
de s’être trompée. Un instant, ils demeurèrent immobiles, se méfiant l’un de
l’autre.
— Barabbas ?
demanda-t-elle d’une voix à peine audible. Il ne bougea pas. Il était si près
qu’elle entendait son souffle.
— C’est
moi, Miryem, reprit-elle, tâchant de se donner un peu d’assurance.
Il ne
répondit pas, se retourna vers la barque, s’accroupit pour vérifier le lien qui
la retenait. A nouveau, la lueur pâlissante du ciel éclaira son profil. Elle
n’eut plus de doutes.
Elle
avança, les mains tendues.
— Barabbas !
C’est vraiment toi ?
Cette
fois, il lui fit face. Quand elle fut assez près pour le toucher, d’une voix
rauque, épuisé,
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