Marilyn, le dernier secret
avec des enfants installés dans des fauteuils roulants, le mercure frôla la barre des dix degrés.
Monroe resta cependant près d'une heure sur la pelouse des Dodgers, bravant la fine bruine qui s'abattait irrégulièrement sur le stade. Avec pour seule protection, une veste de tailleur empruntée aux costumes de Something's Got to Give .
Inévitablement, des maux de tête l'assaillirent dès son retour au 5th Helena. Peu après, elle tremblait, parcourue de frissons de fièvre. L'infection des sinus contre laquelle elle se battait depuis avril venait à nouveau de la terrasser.
Le 2 juin au matin, Eunice Murray informa la 20th Century Fox que Marilyn ne rejoindrait pas le tournage du film de Cukor. Le studio ne fut même pas surpris. Pour tout dire, ses dirigeants n'attendaient que cela. Cette énième absence de Marilyn leur procurait le prétexte idéal pour déclencher la guerre.
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Depuis le 23 avril 1962, début des prises de vue de son trentième film, Marilyn Monroe avait raté douze journées entières de travail. Le réalisateur avait contourné la difficulté en aménageant le calendrier de Something's Got to Give , déplaçant les scènes de la vedette féminine pour mettre en boîte celles du reste de la distribution. Mais, ce 2 juin, il avertit la Fox qu'il ne pouvait plus continuer à jongler ainsi. Le film avait besoin de Marilyn et, sans elle, il ne servait à rien de demander aux techniciens de se présenter sur le plateau.
Au comble de l'exaspération, il n'en pouvait plus. D'un caractère pas facile, le cinéaste se plaignait aussi depuis des semaines de la piètre qualité des performances de l'actrice. Ses trous de mémoire, ses hésitations étaient évidents, le contraignant à multiplier les prises, même lorsque le texte de Monroe se résumait à une poignée de mots. Qui plus est, Cukor avait dû demander à son chef opérateur d'éviter les plans rapprochés sur le visage de la star, tant ses yeux sans vie et sa peau portant les traces de son excessive consommation d'alcool et de tranquillisants se remarquaient.
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Afin de sauver son film, la 20th Century Fox devait donc remplacer Marilyn par une autre actrice.
Une qui respecterait son contrat, qui adhérerait aux désirs du studio et accepterait les desiderata du réalisateur.
Délicate, la manœuvre comportait des risques. Celui de devoir affronter l'incompréhension du public fan de Monroe. Celui, plus grave, encore, de la voir rejoindre la concurrence et, qui sait, renaître de ses cendres.
Renvoyer la Blonde ne suffisait donc pas. Le studio se devait de détruire Marilyn Monroe.
25. Créature
La manœuvre ne manquerait pas de logique. Puisqu'à l'aube des années cinquante, une cohorte de publicitaires avaient transformé la boulotte Norma Jean Baker en désirable Marilyn Monroe, un groupe composé des meilleurs d'entre eux recevrait de la 20th Century Fox la mission d'anéantir sa propre créature devenue ingérable.
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En 1962, la Fox possédait l'une des plus redoutables machines de communication du pays. Une vingtaine de salariés installés à New York et autant en poste à Los Angeles garantissaient la promotion des films sur l'ensemble du territoire, ainsi que vers l'Asie et l'Europe.
Quelques jours avant la fin mai, soit avant la maladie liée à la présence de Marilyn au match des Dodgers, le bureau californien avait reçu une requête inaccoutumée de l'exécutif de la Fox : alimenter la presse d'anecdotes présentant Monroe sous un jour défavorable.
Avec, comme première munition à utiliser, comme venin initial à distiller, ses difficultés pour prononcer de manière exacte la plus banale des répliques. L'opération destructrice débuta sous les meilleurs auspices puisque le ragot des multiples prises arriva jusqu'au plateau de Cléopâtre à Rome [1] .
Pour le plus grand plaisir de sa rivale brune, évidemment.
L'influente Louella Parsons y fut pour beaucoup. Sa rubrique du Herald Examiner étant très lue, le lendemain de la scène du « nu », elle reçut un appel officiel mais anonyme du studio, expliquant : « Marilyn était tellement droguée qu'elle n'avait aucune idée d'où elle se trouvait. C'est pour cela qu'elle s'est déshabillée [2] . »
Et quand un reporter contacta le studio pour savoir si la vedette allait bientôt guérir, un attaché de presse, l'air complice, lui rétorqua : « Mais guérir de quoi ? »
Son incapacité à travailler correctement, sa propension à
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