Marilyn, le dernier secret
solides confidences d'intimes. Juste des sous-entendus et un petit livre rouge postérieur au drame.
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Les propos de Dorothy Kilgallen avaient quand même trouvé un écho dans les colonnes d'un organe concurrent. Très rapidement après la disparition de Marilyn Monroe, Walter Winchell commença, à son tour, à cibler Bobby Kennedy.
Journaliste au New York Evening Graphic , Winchell était un pionnier dans son genre, lui qui, le premier, avait osé bafouer les règles de la profession en traitant de la vie privée des figures publiques américaines. Son goût prononcé pour les vices des puissants, sa prétendue bisexualité et ses engagements réitérés en faveur de la lutte contre le communisme lui avaient offert un statut particulier. De fait, depuis le milieu de la Seconde Guerre mondiale, ce chroniqueur redouté était devenu l'un des rares intimes de J. Edgar Hoover.
Le patron du FBI considérait Winchell comme une formidable caisse de résonance capable de prévenir l'Amérique des risques du péril rouge, mais retrouvait aussi dans sa passion des secrets d'alcôve ses propres attraits, lui qui élaborait des fiches de renseignements très documentées sur tout le monde. Aussi, les chroniques de Winchell bénéficiaient-elles fréquemment de fuites issues des réseaux du Boss . En retour, le journaliste lui livrait avant tout le monde ses informations les plus croustillantes.
Retrouver RFK en posture défavorable dans un papier signé de Winchell n'avait donc rien d'une surprise. Comme une bonne partie de la droite américaine, ce journaliste considérait que la politique menée par les frères Kennedy à Cuba et avec l'Union soviétique, incitant plus à la reprise du dialogue qu'à la lutte acharnée, traduisait une faiblesse, un refus d'affronter et de régler la question communiste, véritable péril à leurs yeux.
Mais au-delà de la charge politicienne classique, cette fois, les accusations de Winchell se révélaient plus précises. Alors qu'une partie de l'opinion publique américaine ne croyait guère à la thèse du suicide, sa chronique diffusa largement l'idée que « le Mari [3] » connaissait la vérité sur les derniers instants de la star. Ce qui n'était guère étonnant puisque, comme il l'écrivait, le dit « Mari » avait été l'ultime amant de la star.
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À défaut de prouver de manière concluante la relation de Marilyn avec Robert Kennedy, les articles de Walter Winchell donnaient un poids supplémentaire à l'écho publié par Dorothy Kilgallen. Un deuxième journaliste venait, aux lendemains de la disparition de Marilyn Monroe, de pointer un doigt vers le clan Kennedy.
Et même si Winchell et Kilgallen avaient construit leur carrière sur le colportage de rumeurs, cette double publication ancrait l'assertion sur un socle moins fragile.
Sauf qu'en réalité il s'agissait du contraire !
Winchell et Kilgallen, fondateurs de l'« explication » citée en exemple par la littérature conspirationniste, dont les accusations sont aujourd'hui reprises comme des preuves par Summers et Wolfe notamment, partageaient en fait une même source.
Un seul individu avait été à l'origine de cette fuite. Et, sans trop de surprise, il s'agissait encore de Frank Capell [4] !
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Comme le serpent venait de se mordre la queue, ce manège donnait le tournis.
Kilgallen se nourrissait des rapports écrits par Capell, ancien agent du FBI devenu croisé de la lutte contre le communisme. Winchell, encouragé par un Hoover ravi de l'opportunité de s'attaquer à la réputation de son pire ennemi, accordait confiance au même informateur.
Plus malsain encore, on constate que, dans The Strange Death of Marilyn Monroe , Capell, afin de donner plus de poids à ses accusations, citait les articles de Winchell comme des preuves concordantes. Des articles dont il était en réalité la source, réussissant donc l'exploit de se citer anonymement afin d'établir la véracité de ses propres propos !
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L'entrée en lice de Frank A. Capell, dont j'ai déjà expliqué les motivations politiques et la volonté farouche de discréditer Robert Kennedy, brouillait les pistes.
Si les théories accusant Bobby Kennedy s'étaient seulement construites sur le crédit apporté aux échos de Kilgallen et Winchell, cela signifiait que depuis quarante-cinq ans la littérature défendant le crime reproduisait, vraisemblablement en l'ignorant, les délires propagandistes de l'éditeur du brûlot
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