Marilyn, le dernier secret
Miller avait entrepris la même procédure dans plusieurs États limitrophes.
Dans l'un d'eux, une secrétaire sensible à mes recherches et à mon accent français m'accorda l'accès à un véritable trésor : le dossier original, rempli par Miller lui-même, qui contenait l'essentiel de son identité administrative. De son cursus scolaire aux noms de ses parents, de son lieu de naissance à la liste des contacts à prévenir en cas d'urgence, les pièces du puzzle s'assemblèrent d'un coup les unes dans les autres, et à une vitesse insoupçonnée. Un sentiment grisant qui me plongeait parallèlement dans une sorte de malaise. Car en quelques semaines, mon enquête s'était transformée malgré moi en obsession monomaniaque, me faisant glisser insensiblement dans la peau d'un voyeur.
La facilité avec laquelle je déroulais la bobine de la vie d'un inconnu me déconcertait. Si, sur le coup, cela me permettait d'avancer dans mes travaux, il s'agissait aussi d'une inquiétante constatation : aux États-Unis, la notion de vie privée se révélait totalement élastique.
En outre, je savais que jamais je ne devrais partager avec ma future proie la quantité d'informations que j'avais amassée. Recevoir un appel téléphonique le renvoyant douze ans en arrière constituerait sans doute déjà une expérience particulière. Inutile, donc, d'ajouter au traumatisme un sentiment de suspicion si une voix inconnue lui débitait les différents épisodes de son existence.
*
L'homme qui avait recueilli les confidences d'Eunice Murray résidait désormais sur la côte Est.
Son adresse, je l'avais vérifié, était toujours active. Restait à user des bons moyens pour le contacter. Puisque aucune ligne de téléphone ne semblait rattachée à son domicile, soit il était inscrit sur la liste rouge, soit il possédait seulement un téléphone portable.
La première option ne me laissait pas d'autre choix que de prendre l'avion et de me présenter chez lui. Sans m'être annoncé.
Or la perspective de se faire claquer la porte au nez n'avait rien d'encourageant. La seconde pouvait sembler compliquée, mais je savais où m'adresser afin de contourner l'absence d'annuaire public.
En réfléchissant, j'ai aussi constaté que les deux dernières adresses de Miller correspondaient à des appartements de location. S'il n'était pas propriétaire, les chances qu'il utilise seulement un portable devenaient plus fortes.
La déduction se révéla correcte. Et, en quelques minutes, je parvins à obtenir l'équivalent du Saint-Graal.
La traque touchait à sa fin : Steven Miller était à la portée d'un simple appel.
87. Charges
Bien entendu, en m'entendant il avait été surpris.
Bien entendu, il avait du mal à croire que je venais de passer presque trois mois à le poursuivre d'Australie aux États-Unis.
Bien entendu, il se souvenait parfaitement d'Eunice Murray.
*
Avant même d'évoquer le nom de Marilyn, nous avions discuté d'Eunice.
La façon dont il en parlait, cadrait avec les propos de la famille de l'ancienne assistante à domicile.
Le portrait était identique. Il était question d'une douceur dans la voix, d'une gentillesse dans le regard et, malgré l'âge, d'une vraie vivacité d'esprit. Eunice Murray n'était pas, semblait-il, une grande bavarde mais possédait le sens de la repartie.
La conversation avait naturellement dérivé sur la relation qu'elle entretenait avec Monroe.
Comme me l'avaient raconté quelque temps plus tôt David Stanowski et Patti Mocella, le neveu et la nièce d'Eunice, Miller confirmait que Murray éprouvait une réelle sympathie pour la star. Certes, Marilyn n'était pas son actrice préférée et Eunice doutait même de l'étendue de son talent, mais, en plus d'une beauté dont elle assurait qu'aucun cliché ne lui rendait pleinement hommage, Eunice avait été subjuguée par la sensibilité et la bonté de l'actrice.
Les souvenirs de Miller me renvoyèrent à l'instant où, lors d'un entretien téléphonique, Patti Mocella avait eu l'expression la plus aboutie pour résumer le point de vue de Murray : « Eunice aimait Marilyn pour ce qu'elle était, pas ce qu'elle prétendait être. »
Le tableau touchait à sa fin. Le moment était venu. Il convenait maintenant d'évoquer la nuit du 4 août 1962.
*
La principale différence entre les récits de Steve Miller et ceux des parents d'Eunice résidait dans la manière dont cette dernière avait évoqué le décès de la
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