Marin de Gascogne
quittera Mont-de-Marsan le 2 Messidor.
Avant de le laisser partir, le brigadier Ducasse dit à Bernard :
— A Langon, tu verras sans doute le colonel Labat.
— Je ne connais qu’un Labat : c’est François Hardit, le maître de bateau qui s’est engagé dans l’armée.
— Hardit, c’est bien lui. Donne-lui le salut d’un compagnon d’armes qui s’est couvert de gloire avec lui au pont d’Arcole sous les ordres du Petit Tondu.
— Qu’est-ce que c’est, le pont d’Arcole ? demanda Bernard à Pierre Dumeau tandis qu’ils se dirigeaient vers l’auberge.
— C’est une victoire des Français sur les Autrichiens en Italie, l’automne dernier.
— Et le Petit Tondu ?
— C’est le surnom que les soldats donnent à un jeune général qui prend beaucoup d’importance.
— Comment s’appelle-t-il ?
— Bonaparte. Tu dois avoir entendu parler de lui ?
— Non, jamais.
CHAPITRE X :
L’ESCALE
Parfois, durant la longue remontée de l’Adour et de la Midouze, Bernard essayait d’imaginer ce que serait son retour.
Il voyait une petite foule assemblée à la tombée d’un jour serein sur la place Maubec, au débouché de la route de Bazas. Au premier rang, sa mère lui tendait les bras, avec Pouriquète à son côté, silhouette blanche dont il devinait mal les formes. Derrière elles, le père Hazembat mâchait sa chique, flanqué de toute la maisonnée du Port. Une escouade de la garde nationale rendait les honneurs sous les ordres de Touton Tignous.
A Mont-de-Marsan, Busquet Dumeau, devenu bourgeois cossu et haut de parole, le détrompa : il n’arriverait pas à Langon par la route de Bazas, mais par celle de Villandraut.
— C’est là que nous avons tous nos entrepôts, maintenant, pour recevoir le trafic de la lande qui vient par Saint-Symphorien. Lanusquet ira t’y chercher : je l’ai fait prévenir par la poste aux lettres.
Tandis que le lourd charroi tiré par des mules cahotait sur le chemin de la lande, le vent se mit au sud et le temps devint lourd. Entre Captieux et Lucmau, l’haleine chaude des nouvelles plantations de pins montait à la tête comme un alcool.
Bernard n’avait jamais vu Villandraut. Il s’émerveilla du haut château fort abandonné, au pied duquel barriques, balles et sacs amoncelés suaient la nouvelle richesse terrienne.
L’orage avait éclaté et il pleuvait à verse quand Lanusquet arriva de grand matin sur une charrette légère attelée d’un cheval gris pommelé. Il avait grandi, s’était étoffé, mais son regard brillait toujours de malice bon enfant. Son costume non plus n’avait pas changé : il était habillé comme un marinier.
— Bon Diu, Hazembat, dit-il de sa voix rocailleuse, que’m ha plaser ! Mais, costaud comme te voilà devenu, je me sens tout petit à côté de toi !
Ils savourèrent en silence la joie des retrouvailles. C’est seulement quand la charrette eut pris la route de Langon que Bernard demanda :
— Com va lo monde a casa ?
— Ça va, ça va. Ils t’espèrent, tu sais.
On s’attendait toujours à apprendre des morts après une longue absence.
— E son tots hardits ?
— Ils sont tous bien, sauf Tignous qui s’en va un peu de la tête.
— Il a des soucis ?
— Tout le monde a des soucis en ce moment, surtout d’argent.
— Les tiens n’ont pas l’air de s’en tirer trop mal. Lanusquet lui lança un bref regard.
— Non, pas trop mal. L’argent change beaucoup de mains en ce moment. Il y en a qui ont tiré parti de la Révolution et d’autres pas.
— Je suppose que Capulet Dubernet a dû ramasser beaucoup d’assignats.
— Trop. On les a supprimés l’an dernier : ils ne valaient même plus leur poids de papier.
Bernard n’osait pas parler directement de Pouriquète.
— Comment va-t-il ?
— Pas trop bien depuis la mort de sa femme.
— Poudiote ? Elle est morte ?
— Elle a été emportée par l’épidémie d’il y a deux ans. Ça n’a pas duré : couic !
— Le père Capulet se débrouille avec les enfants ?
— C’est plutôt eux qui se débrouillent. Capsus est avec moi sur le courau de ton père. Castagne fait marcher la boutique avec ta mère et ta sœur Janote.
— Et… Pouriquète ?
— Elle aide aussi, mais elle est fragile. Pour moi, elle se languit de quelqu’un. Hue ! bestiasse !
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