Marin de Gascogne
prendre leur travail passa, discutant avec animation. Bernard n’osa pas leur adresser la parole, mais ils se retournèrent derrière lui.
A mesure que le jour se levait, les passants devenaient plus nombreux, se dirigeant tous vers les installations du port, et les premières maisons apparurent. Une auberge ouvrait ses volets. Bernard se dirigea vers elle, espérant y trouver des renseignements.
Le claquement des sabots d’un cheval sur le pavé le fit se retourner.
— Halte là !
Il ne connaissait pas l’uniforme du grand bonhomme moustachu qui le toisait du haut de sa monture. Il portait de hautes bottes de cuir noir, une veste à parements jaunes barrée d’un baudrier blanc et un grand bicorne avec cocarde et panache.
— Qui es-tu ? L’accès du port est interdit aux personnes qui n’y travaillent pas.
— Je suis marin, je m’appelle Bernard Hazembat, de Langon.
— Fais voir tes papiers.
— Je n’en ai pas. Je suis naufragé.
La tête lui tournait étrangement et il se rendit compte soudain que cela venait du fait qu’il parlait français avec quelqu’un qui lui répondait en français. L’accent était étrange, un peu comme celui des commis allemands qui venaient parfois à la Maison du Port.
— Pas de papiers, hein ?
Les p explosaient dangereusement.
— Nous avons coulé corps et biens au large du Ferrol.
— Le Ferrol ? Ainsi, tu viens d’Espagne sans papiers ? Allez, ouste ! Suis-moi à la gendarmerie. Tu t’expliqueras avec le brigadier Ducasse !
Le brigadier était visiblement un ancien militaire au visage bonasse et à l’accent plus familier. Il écouta les explications de Bernard en grattant pensivement la cicatrice qui barrait son nez.
— Ouais… ouais…, disait-il d’un air absent. Soudain, il planta ses yeux dans ceux de Bernard.
— Alavetz, dises qu’es de Langon, goyat ? Ne coneishes pas a quauqu’u aciu ?
En entendant sa langue maternelle, Bernard plongea vertigineusement dans un passé lointain. La gorge nouée, il sentait le regard méfiant du brigadier s’appesantir sur lui à mesure qu’il s’empêtrait dans le piège. Puis, d’un coup, les mots jaillirent du fond de ses tripes.
— Qu’es vertat, monsur lo brigadier. Que soy lo hilh d’Hazembat, lo marinièr !
— Et tu ne connais personne à Bayonne ?
— Il y a un maître de bateau de Saubusse qui a travaillé avec nous. Il fait le trafic de l’Adour. Peut-être qu’il descend jusqu’ici.
— Quel est son nom ?
— Dumeau, mais on l’appelle Busquet.
Le brigadier haussa ses sourcils en broussaille.
— Monsur Dumeau ? Tu as eu affaire à lui ?
— Mon père, oui. Je pense qu’il se souvient de moi. Vous le connaissez ?
— Je suis de Peyrehorade, drôle, et, de Mont-de-Marsan au Boucau, tout le monde connaît Monsur Dumeau. Depuis le blocus, c’est lui qui a organisé le ravitaillement par terre. Sans ses charrois et ses bateaux, nous aurions crevé la gueule en l’air !
— Il est ici ?
— Lui, non, mais tu as de la chance : son fils est arrivé hier pour charger du sel.
— Son fils Jean, celui qu’on dit Lanusquet ?
— Non, l’aîné, Pierre.
Bernard eut un geste de découragement.
— Lui ne me connaît pas.
— On peut toujours le lui demander. Je vais envoyer le gendarme Schwartz le chercher. J’espère qu’il ne t’a pas trop effrayé. Tout alsacien qu’il est, c’est un bon bougre.
Pierre Dumeau ressemblait à son frère en plus costaud. Il devait avoir tout juste passé les vingt ans, mais on sentait à sa manière l’homme d’autorité et de poids. Il portait une redingote à larges revers qui, bien qu’en drap grossier, parut à Bernard de coupe élégante. Assurément, il fallait que l’entreprise Dumeau fût prospère pour qu’un fils de batelier se permît un raffinement vestimentaire réservé naguère à la haute bourgeoisie. Il avait le regard sombre et droit de son père et de son frère.
— Alavetz, qu 'es tu Hazembat ? dit-il en tendant la main. Ne t’avèvi pas jamès vist, mes lo hrair be m’a parlat hèra de tu. Que t’avèri reconeishut ! C’est bien lui, brigadier. Les pêcheurs de Fontarabie m’avaient averti de son arrivée. Si vous êtes d’accord, je l’embarquerai sur un petit couralin qui ne craint pas les basses eaux, et il pourra faire partie du charroi qui
Weitere Kostenlose Bücher