Marin de Gascogne
— On aura tôt fait de le rattraper, dit Verdier. C’est plein de récifs par ici et, s’il continue, il va donner droit dans l’île de Trielen.
Le capitaine anglais devait bien connaître les parages, car il fit augmenter la toile sans donner signe de ralentir. Pourtant, l ’Argonaute, plus lourd et mieux porté par l’eau, continuait à se rapprocher. Au moment où il allait arriver par le travers, à portée de canon, un grain surgit au ras de l’eau et engloutit les deux navires dans une pluie dense et drue qui boucha la vue. Hazembat se dit que c’était le bon moment pour l’Anglais de virer de bord à la sauvette.
Guillotin avait dû faire le même calcul, car il cria :
— Changez les voiles par bâbord amures ! La barre dessous !
L’entraînement des semaines passées portait ses fruits. Malgré les pertes subies, l’équipage mena l’opération sans une faute. Courant sur l’autre bord, l ’Argonaute émergea du grain à trois encablures à peine de l’Anglais qui faisait route au sud-ouest, manifestement pour se dégager de la zone des récifs.
A peine Guillotin eut-il le temps de faire mettre les canons en batterie sur tribord que l’ennemi vira soudain nord-nord-ouest en direction d’Ouessant. L ’Argonaute suivit aussitôt le mouvement et la chasse reprit, cette fois en mer libre. De nouveau, la distance entre les navires se rétrécit. Guillotin fit donner du mou aux écoutes, sacrifiant un peu de sa supériorité de vitesse pour diminuer son écart latéral. La galerie de l’Anglais n’était plus qu’à une demi-encablure par le bossoir bâbord et l’on pouvait lire le nom écrit en lettres d’or sur le tableau : Hotspur. Comme prélude à l’attaque, Guillotin fit donner les canons de chasse et un trou rond s’ouvrit dans la brigantine de l’Anglais. C’est alors qu’un nouveau grain, plus fort encore que les précédents, noya tout dans des bourrasques opaques et cinglantes. De nouveau, Guillotin anticipa la manœuvre de l’ennemi.
— A virer au vent ! Tribord amures ! La barre dessous !
Docile, l’ Argonaute pivota dans la crasse. Le tangage seul indiqua le moment où il passait dans le lit du vent.
D’un coup, les nuages bas se déchirèrent et le navire se trouva baigné de soleil au moment où il allait s’établir sur l’autre bord. Clignant des yeux sous cette lumière subite, Hazembat chercha l’Anglais, mais il n’avait devant lui qu’une mer vide, ponctuée de déferlants.
— L’ennemi par deux quarts de l’arrière tribord ! cria Violet.
— Ce fils de putain de merde n’a pas viré ! hurla Guillotin. Garde la barre au vent, timonier ! On fait un cercle d’évitage !
— Avec toute cette toile, commandant ? demanda Violet.
— On n’a pas le temps de la diminuer ! Gare au vent de travers, timonier !
Hazembat n’avait pas besoin qu’on le lui dise. Il savait que le moment critique viendrait quand le navire, lancé vent arrière, recevrait par le travers une brise de vingt à vingt-cinq nœuds. Une simple bourrasque suffirait alors, au mieux, à lui casser de la mâture, au pire à le faire chavirer, si le timonier ne maintenait pas la barre juste en deçà de la limite de poussée. Malgré l’effort des hommes arc-boutés aux roues, il sentait sous ses doigts le gouvernail répondre comme une mécanique de précision et cette sensation, combinée à celles qu’il recevait de ses jambes, de son estomac, de sa tête, lui dirait le moment où il devrait rencontrer sans en attendre l’ordre.
Mais l’ Argonaute passa brillamment l’épreuve. Par temps clair, maintenant, on voyait le Hotspur qui fuyait nord-ouest, à deux milles devant, avec l’intention évidente de doubler Ouessant.
Guillotin fit établir les focs et reprit la poursuite. Une heure plus tard, à un mille du récif de la Jument, l ’Argonaute était de nouveau dans le sillage de l’Anglais, mais n’arrivait pas à le gagner par tribord. La tactique du Hotspur consistait à border au plus près les hauts-fonds et les écueils, un peu comme un animal qui cherche à se débarrasser d’un parasite en se frottant aux rochers.
Le jeu cessa quand poursuivant et poursuivi doublèrent la pointe ouest d’Ouessant devant le rocher de Nividic. La mer libre s’étendait devant eux et l’ Argonaute avait tout l’espace nécessaire pour le hallali.
— Ah, mon gaillard ! s’écria
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