Marin de Gascogne
filtrait qu’un jour grisâtre, il somnolait, oubliant les crampes qui torturaient ses membres, indifférent à l’interminable rumeur de douleur et de mort qui l’entourait.
Ce fut l’étudiant qui lui annonça l’appareillage de la flotte quand il vint retirer le drain.
— On va laisser ta blessure à l’air avec un linge dessus pour empêcher les mouches d’y pondre. Si tout va bien, tu pourras commencer à remuer dans quelques jours.
C’est quand il put se déplacer sur son grabat qu’Hazembat s’aperçut de la présence innombrable des punaises. Les poux qui grouillaient dans sa tignasse trop longue ne le gênaient pas outre mesure, mais les punaises étaient plus insidieuses et malfaisantes, provoquant d’intolérables démangeaisons qui éclipsaient la douleur, maintenant moins lancinante, de la blessure.
Il n’eut de cesse qu’il ne parvînt à s’asseoir, puis à mettre les pieds par terre. Il lui fallut réapprendre à se servir de ses jambes raidies, puis dominer l’appréhension qu’il avait à lever le bras. Il lui semblait toujours que les points de suture allaient casser. Peu à peu, il retrouvait sa force. Un jour qu’il s’évertuait futilement à taper sur sa paillasse pour en chasser la vermine, le second maître chargé de la surveillance de la salle l’interpella :
— Eh, matelot ! Si tu es assez d’attaque pour nettoyer ton lit, tu l’es aussi pour briquer le plancher. Prends ce seau et va chercher de l’eau ! Il y a un puits dans la cour.
Après plus de quarante jours sur le ventre, Hazembat ne demandait pas mieux que de prendre de l’exercice. Il saisit le seau et, titubant un peu, se dirigea vers la porte. Le soleil de printemps l’éblouit d’abord, mais ce fut l’air tiède et pur qui le surprit le plus. Sur le moment, il crut suffoquer.
Au puits, il eut quelque mal à hisser le seau. Quand il le vit paraître, ruisselant d’eau fraîche, il ne résista pas à la tentation et se le déversa sur la tête. Il recommença l’opération plusieurs fois, essayant de démêler ses cheveux et d’en faire tomber les poux. Ils avaient également envahi la barbe drue et noire qui couvrait ses lèvres, son menton et ses joues.
Un vieil homme à jambe de bois qui l’observait sur le pas d’une porte vitrée lui cria :
— Aujourd’hui, je coupe et je rase gratis, camarade ! Si le cœur t’en dit…
— Ce n’est pas de refus !
Au-dessus de la porte, Hazembat déchiffra péniblement une inscription à demi effacée : Apothicairerie. La pièce sentait le liniment, le baume de tolu et l’onguent de camphre.
Le coiffeur-apothicaire le fit presque autant souffrir que l’apprenti chirurgien mais, quand l’opération fut terminée, il se sentit ragaillardi.
— Je vais te mettre de la décoction de tabac dans les cheveux, dit l’homme de l’art. Ça pue, mais ça chasse les poux.
— Et pour les punaises, tu n’as rien ? L’autre secoua sombrement sa tête chenue.
— Elles sont increvables. Le seul moyen, c’est de dormir dans un hamac, mais il n’y en a pas à terre.
— Je ne demande qu’à réembarquer !
— Et sur quel navire ? Toute l’escadre est partie.
— On ne peut pas me renvoyer chez moi jusqu’à ce qu’elle revienne ? Des fois, il y en a à qui on l’a permis.
— Tu peux toujours faire la demande au sous-adjudant de l’état-major. C’est lui qui décide.
L’enseigne qui le reçut la semaine suivante avait l’air revêche.
— Matelot de première classe Bernard Hazembat ? demanda-t-il. Tu es timonier sur l ’Argonaute ?
— Oui, lieutenant.
— Tu as demandé une permission de convalescence pour te rendre chez toi ? J’ai le regret de te dire que c’est tout à fait impossible. Tu es aux arrêts.
— Aux arrêts ?
— La cour martiale chargée d’examiner les circonstances de l’engagement naval du 15 Germinal dernier se réunira dès le retour de l’escadre. C’est toi qui étais à la barre ?
— Oui, lieutenant.
— Il faudra donc que la cour t’entende, ne serait-ce que comme témoin.
Comme par inadvertance, il posa trois doigts sur son bureau, le pouce tourné vers lui. A tout hasard, Hazembat répéta le geste sur sa poitrine.
— Quand rentrera l’escadre, lieutenant ?
— Je n’en ai pas la moindre idée, mais cela peut prendre du temps. Tu devras attendre. Cela dit,
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