Marseille, 1198
préparation médicale. Depuis, il avait pétri la pâte qui
commençait à sécher quand Robert de Locksley rentra de la pendaison. Ibn Rushd
et le Perse, qui préparaient des pots à feu et des mèches en laine de mouton
frottée de soufre, s’arrêtèrent pour lui lancer un regard interrogateur.
Quand Raimbaud de Cavaillon était venu prévenir
Locksley que le seigneur des Baux voulait qu’il siège au jugement des félons,
il avait laissé ses compagnons en leur demandant de préparer au plus vite le
mélange. Il était revenu les voir avant d’aller assister à la pendaison pour
leur raconter qu’Anna Maria et Bartolomeo étaient provisoirement sauvés et que
Guilhem avait changé de camp. Ibn Rushd n’avait pas caché sa déception. Locksley
avait ajouté qu’un jeune garçon, qui avait caché Hugues de Fer, allait être
pendu et qu’il tenterait de fléchir Hugues des Baux.
— Hugues des Baux n’a pas fléchi, laissa
tomber le Saxon en entrant.
— Je n’y croyais pas, fit Ibn Rushd.
D’ailleurs Guilhem aurait été pendu avec lui s’il n’avait pas prêté allégeance
aux Baussenques.
— Sans doute, soupira Robert de Locksley. Où
en êtes-vous ?
— Nous préparons des mélanges différents.
D’après Nedjm, les propriétés de cette poudre changeraient suivant les quantités
des parties, expliqua le médecin. Avec six parts de soufre et de sel de roche
pour une part de charbon, la poudre brûle et provoque seulement des incendies,
tandis qu’elle explose si elle est composée de six parts de sel, une de soufre
et deux de charbon. J’avais fait des observations semblables dans la
composition des thériaques : suivant le rapport des substances qui se
trouvent mélangées, les effets sont différents.
— Dans quoi mettrez-vous la poudre ?
— Aux cuisines, j’ai demandé des petits pots
de terre que nous avons remplis avec le mélange qui brûle et, à la demande de
Nedjm, j’avais emporté de Marseille quelques coffrets de fer. Ceux-là seront
pleins de poudre explosive.
Locksley examina un moment les pains de poudre
noire, puis les pots et les boîtes en fer avant de s’enquérir :
— Pourrions-nous agir ce soir ?
— Oui. Nous avons suffisamment de coffrets
pour détruire plusieurs portes et les pots à feu multiplieront les incendies.
— Nedjm m’accompagnera à la porte de la
prison, puis nous irons délivrer les jongleurs. Vous, Ibn Rushd, vous
provoquerez des incendies partout avec les pots à feu. Nous nous retrouverons
au pont-levis pour mettre le feu au corps de garde. Je briserai les chaînes et
nous partirons avec les chevaux de l’écurie de la basse-cour, pendant la
confusion. Je vais vérifier dès maintenant s’il est facile de les faire sortir.
— J’irai chez le seigneur des Baux dès que
j’aurai terminé, je dois continuer de le soigner, fit Ibn Rushd. Mais vous
n’avez rien proposé au sujet de Guilhem. Allez-vous le prévenir pour qu’il
parte avec nous ?
— Non. Il a un nouveau maître, et croyez que
je le regrette. C’était un rude combattant qui va nous manquer, mais je ne peux
plus lui faire confiance.
Peu avant le souper, deux hommes d’armes de
Castillon et un sergent ouvrirent la porte de la pièce où étaient enfermés les
comédiens.
— Préparez-vous à distraire les seigneurs ce
soir, dit le sergent à Bartolomeo. Quant à vous, damoiselle, venez avec nous,
le sire de Castillon vous demande.
— Seule ? demanda-t-elle.
— Oui-da, nous vous ramènerons ensuite.
— Je n’irai pas, décida-t-elle.
— Nous serons contraints de vous conduire de
force, menaça-t-il.
Ils étaient trois. Elle n’avait aucun moyen de se
défendre, car on avait fouillé leur chambre la veille et pris leurs armes.
— Je vous suis, accepta-t-elle après une
hésitation, se jurant de tuer Castillon s’il portait la main sur elle.
Sous les arcades, ils empruntèrent le passage
conduisant au logis des chevaliers. Au deuxième étage, une étroite galerie
bordée de plusieurs portes longeait la paroi rocheuse.
Ils grattèrent à l’une d’elles et un rugissement
retentit. Castillon leur ordonnait d’entrer.
Elle vit qu’il était seul et se figea. Le sergent
la poussa et referma la porte.
C’était une chambre étroite avec seulement un lit
à rideaux. Pas de fenêtre mais une archère avec un morceau de bois tournant
dans l’embrasure qui faisait volet. Une tenture en fourrures de daim séparait
la chambre de la
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