Marseille, 1198
pièce d’à côté où logeaient sans doute serviteurs et
domestiques.
— Que me voulez-vous ? demanda-t-elle
d’une voix glaciale.
— Vous me paraissez bien agressive, Anna
Maria. Je vous ai pourtant sauvé la vie, et évité une mort affreuse, fit-il
suavement.
— Je ne vous avais rien demandé !
— Pour qui vous prenez-vous ? gronda-t-il
brusquement.
Il s’approcha d’elle et l’attrapa par la taille.
— Lâchez-moi !
Elle le frappa et il riposta aussitôt en la
giflant plusieurs fois. Puis il lui déchira le haut de son bliaut.
Elle se mit à hurler.
Robert de Locksley logeait à l’extrémité du même
couloir. Revenu de la basse-cour, il attendait Ibn Rushd qui était chez Hugues
des Baux quand il entendit le hurlement.
Sans savoir pourquoi, il fut certain que c’était
« sa » Marianne. Saisissant son épée, il se précipita dans la
galerie. Le cri retentit à nouveau, il repéra la porte d’où il provenait et
l’enfonça d’un coup d’épaule.
Castillon avait traîné Anna Maria presque
entièrement dénudée dans son lit. Locksley attrapa le Baussenque par le col et
le jeta contre le mur.
— Que se passe-t-il ?
Le Saxon levait son épée pour fendre en deux
Castillon quand il reconnut la voix. Il tourna la tête, c’était Baralle avec
Ibn Rushd. Derrière eux arrivait Hugues des Baux, stupéfait.
— Ce porc se permet des choses
ignobles ! fit Robert de Locksley. Je vais le saigner comme la bête qu’il
est !
— Ce porc est mon frère ! gronda Hugues
des Baux. Retournez chez vous !
— Qu’il laisse cette femme, alors !
— Je vais la conduire chez elle, décida
Baralle.
En sanglotant, Anna Maria rajusta son bliaut
déchiré sur ses seins d’ivoire et suivit Baralle.
— Que votre frère n’y touche plus !
menaça Robert de Locksley en s’arrêtant devant Hugues. Jamais !
— Vous ne connaissez rien aux femmes, comte
de Huntington ! C’est elle qui me suppliera bientôt de l’accepter dans mon
lit ! fanfaronna Castillon pour dissimuler la peur qu’il avait éprouvée.
Robert de Locksley était déjà dans le couloir. En
entendant ces mots, il revint vers Hugues des Baux et toucha sa poitrine de son
index.
— Seigneur des Baux, votre famille remonte
aux rois mages, dit-on. J’espère que vous ne tolérerez plus de telles violences
envers une femme, sinon vous serez déshonoré et le ban des chevaliers de
Provence et d’ailleurs se lèvera contre vous !
— Sire Robert de Locksley, malgré l’estime
que j’ai pour vous, vous n’êtes pas le maître ici. Ces jongleurs sont des
félons que j’aurais dû faire jeter des remparts. Mon frère n’a pas d’épouse.
S’il parvient à convaincre cette femme de l’aimer, elle sera à lui.
— Je doute que ce porc parvienne à quoi que
ce soit, répliqua Locksley en plantant son regard dans celui de Castillon.
Il revint à sa chambre et mit un long moment pour
se calmer. Il hésita même à se rendre au souper mais il se dit que s’il n’y
était pas, Castillon penserait lui faire peur.
Le repas fut morose. Il y avait eu la pendaison du
jeune berger, et la mort ne réjouissait personne même si c’était un spectacle
qu’on ne voulait pas manquer. Quant aux jongleurs, ils parurent n’avoir aucune
envie de faire rire le public et Anna Maria chanta avec un tel désespoir que
chacun poussa un soupir de soulagement quand elle s’arrêta.
C’est en revenant dans leur chambre que Locksley
et ses compagnons découvrirent des gardes dans le couloir. Il n’y en avait pas
la veille. Interrogeant le sergent qui les commandait, Locksley se vit répondre
que Hugues des Baux avait donné des ordres pour qu’ils l’empêchent de se
quereller à nouveau avec son frère.
Cette surveillance interdisait leur entreprise
pour la nuit et Locksley se maudit d’avoir menacé Castillon. Ils auraient donc
une journée de plus à passer au château. Il se promit d’éviter le frère de
Hugues des Baux le lendemain, de manière que la surveillance cesse.
L’aube naissait quand ils entendirent gratter à la
porte. Locksley était déjà debout. Épée en main, il ouvrit. C’était un homme
d’armes qu’il ne connaissait pas. Le regard du visiteur glissa vers le lit aux
rideaux tirés, puis il mit un doigt sur sa bouche et entra.
La quarantaine, buriné, empâté, déjà chauve sous
son chapel de fer, il portait une casaque en cuir brun recousue sommairement en
plusieurs endroits.
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