Marseille, 1198
la même.
Nedjm Arslan a utilisé sa poudre de ce côté-ci,
mais pourquoi ? se demanda-t-il. Comment est-il arrivé là ? A-t-il
percé la paroi rocheuse ? Les questions s’entrechoquaient, mais il n’avait
aucune réponse sinon que le Perse n’était pas loin. Or les précédentes
déflagrations étaient dans le château, dans la cour aux arcades, donc, d’une
façon ou d’une autre, lui et ses amis étaient parvenus à fuir.
— Que se passe-t-il au château ? Quels
sont ces bruits de tonnerre ? Pourquoi ces incendies ? Qui nous
attaque alors que mon mari ne peut même pas le défendre ? demanda Baralle
en sanglotant nerveusement.
— Ce sont mes amis, dame Baralle. Ils sont
partis et les incendies vont s’arrêter. Quant à moi, avec le seigneur Roncelin,
je vais les rejoindre.
Il la considéra un bref instant en la voyant en
larmes, si désespérée. Durant leur courte absence, elle avait revêtu un bliaut
vert doublé d’hermine et serré sa chevelure dans une coiffe tenue par une
couronne tressée d’argent. Il était inutile de l’interroger sur ce qui s’était
passé. Il l’avait deviné. Castillon et Basile étaient venus pour tuer Hugues,
Monteil les avait surpris et il y avait eu un affrontement où le géant avait
été blessé. Ensuite Baralle était arrivée. Castillon avait sans doute abusé
d’elle et elle avait hurlé.
C’étaient ces cris qu’il avait entendus, ce
n’était pas Hugues qui la martyrisait. La suite, il préférait ne pas la
connaître. Roncelin l’avait-il défendue ? Il en doutait, s’il l’avait
fait, Castillon l’aurait tué. Pourtant, Baralle l’aimait malgré sa lâcheté. Il
songea avec dérision que ce drame qui s’était déroulé dans la chambre, il
l’avait chanté bien souvent. L’amour qu’elle éprouvait pour Roncelin enchaînait
Baralle, tandis que le vicomte, par lâcheté ou par indifférence, ne prêtait pas
attention à elle. Quant au comportement de Rostang de Castillon, combien de
fois l’avait-il justifié à la cour d’amour de Saint-Gilles, faisant pâmer les
dames en déclamant : « Vouloir posséder sa dame par violence,
c’est pécher contre l’amour et encourir la perte de l’âme, mais si j’ai péché,
si j’ai perdu la raison à cause de sa beauté, le ciel commettrait une injustice
en me refusant mon pardon. [43] ».
Le ciel pardonnerait-il à Rostang de
Castillon ?
— Vicomte, rassemblez toutes les armes que
vous pourrez trouver, lança-t-il. Dame Baralle, où est l’échelle ?
— Dans ce coffre, répondit-elle en désignant
un huchier à l’autre bout de la chambre.
L’échelle était au-dessus de tout un bric-à-brac
de vêtements et d’armes. Elle était très étroite, mais paraissait solide.
Guilhem vida complètement le coffre qui contenait une cotte de mailles et un
camail ainsi qu’un gambison de cuir matelassé avec les manches boutonnées aux
poignets. Ce vêtement était autrement solide que celui qu’il portait, aussi
l’enfila-t-il sur sa cotte. Il mit aussi des gantelets de peau protégés par des
mailles de fer.
Dans un second coffre, le vicomte de Marseille
avait trouvé un second haubert et plusieurs baudriers de cuir cloutés de
cuivre, des chapels et des cervelières, ainsi que toutes sortes d’épées courtes
et longues.
Ils rassemblèrent cet équipement près de la
fenêtre. Ensuite Roncelin décrocha avec fébrilité des murs deux haches à large
lame, un triple fléau et un marteau de fer avec une pointe transversale, une
pointe en bec de faucon et une troisième à l’extrémité du manche.
— Jetez tout par la fenêtre pendant que
j’attache l’échelle. Malgré l’obscurité, nous en retrouverons bien une partie.
Roncelin s’exécuta, envoyant en bas épées,
casques, fléaux, boucliers et masses, avant de jeter les deux hauberts.
— Hugues vous a-t-il remis les vingt mille
sous d’or qu’il vous doit ? lui demanda Guilhem.
— Comment savez-vous ça ?
— Le seigneur des Baux a trop parlé,
persifla-t-il.
— Il m’a assuré qu’on lui porterait la somme
depuis Arles, n’ayant ici que cinq mille sous d’or.
— Pouvez-vous me dire où sont ces cinq mille
sous, dame Baralle ? demanda-t-il avec une politesse de pure forme.
Elle soutint son regard sans répondre.
— Dame Baralle, je veux cet argent et je ne
veux pas que cela, insista-t-il, irrité. L’homme que Robert de Locksley a tué,
et que Castillon a fait passer pour
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