Marseille, 1198
richesses… Bien utiles parfois. Nous avons appris
par l’évêché que le vicomte en titre, un ancien moine défroqué, est couvert de
dettes. Il serait prêt à vendre ses droits sur la vicomté contre vingt mille
sous d’or. Acheter ces droits nous permettrait de réunir la ville basse et la
ville haute sous notre autorité. Posséder la plus grande ville de Provence
serait un atout considérable face à l’empereur et au roi de France. Seulement
d’autres acheteurs sont sur les rangs et nous ne voulons pas nous découvrir.
Nous devons donc transmettre notre proposition au vicomte sans qu’on démasque
notre messager, car s’il était repéré, nos adversaires le feraient disparaître.
Nous avions pensé à prendre langue avec un marchand, ou un religieux. Mais les
marchands font des affaires avec les Marseillais et le risque d’indiscrétion
est grand ; quant aux religieux de Marseille, ils sont souvent en querelle
entre eux, et avec nous.
» C’est pourquoi nous avons pensé à vous. Le
vicomte organise souvent des fêtes et des banquets. Il recevra naturellement
des jongleurs sans que personne n’imagine qu’ils viennent de Rome.
Il s’était tu. Comme le silence s’éternisait,
Bartolomeo et Anna Maria ne sachant que dire, le cardinal qui avait parlé avait
sèchement demandé :
— Avez-vous des questions ?
Bartolomeo avait dégluti, les yeux baissés.
— Nous ne sommes que des comédiens, seigneurs,
malhabiles pour une ambassade.
Il avait peur, c’était visible. Sa sœur gardait un
visage distant, laissant entendre qu’elle n’avait pas plus envie que lui
d’aller à Marseille jouer à l’espionne.
— Vous ne risquerez rien, votre réputation de
jongleurs vous aura précédés, et vous n’aurez qu’une lettre à remettre. Mais
comme nous ne pouvons vous forcer, il y aura une récompense si vous acceptez.
Mgr Ubaldi nous a fait part de ses relations avec votre mère et de votre
filiation. Elle pourrait être reconnue par Sa Sainteté, ce qui vous donnerait
une part de son héritage, et surtout un nom. Monseigneur Ubaldi était noble…
Bartolomeo et sa sœur s’étaient regardés,
interloqués. Anna Maria avait été la première à comprendre qu’elle ne pouvait
laisser passer une telle chance. On leur proposait de devenir des Ubaldi ?
Une autre vie s’ouvrirait alors devant eux !
— Il n’y aura qu’une lettre à remettre ?
avait-elle demandé.
— Oui. Vous n’aurez qu’à la dissimuler
quelque part. Si le vicomte a des questions, nous vous communiquerons les
réponses à lui donner. Ensuite vous reviendrez à Rome nous faire part de ce
qu’il a décidé. Si la vente a lieu, vous deviendrez des Ubaldi.
— Nous acceptons ! avait-elle dit avant
que son frère ait pu répondre.
Innocent III s’était levé avec majesté,
serrant son pallium autour de lui.
— Je compte sur vous, avait-il déclaré, le
visage grave.
Il leur avait tendu sa bague à baiser et était
sorti, suivi des deux cardinaux.
Le camerarius était resté avec eux.
— Maintenant, écoutez-moi attentivement, je
vais vous expliquer les grandes lignes de notre dessein. La lettre que vous
remettrez au vicomte Roncelin est déjà écrite. Avant tout, avez-vous un moyen
de la dissimuler ?
— Dans mon psaltérion, avait décidé Anna
Maria. C’est là que je range nos papiers importants.
— Une barque vous attend. Vous partirez
demain matin. Nous ferons venir vos bagages de votre auberge. Le plus grand
secret entoure cette affaire.
Vous ne rencontrerez plus personne avant votre
départ. À Marseille, il vous sera interdit de parler de nous à quiconque, sous
peine de mort. Je vais vous expliquer plus complètement la situation dans ce
port, quels seront ceux dont vous devrez vous méfier, et ceux qui seront vos
amis. En ce qui concerne le vicomte, il se nomme Roncelin. Je vous l’ai dit, il
veut vingt mille sous d’or pour sa part de la vicomté, mais vous pourrez aller
jusqu’à trente mille au cas où il aurait accepté un autre engagement. Vous lui
direz aussi que s’il refuse, il sera excommunié pour avoir quitté la robe. En
revanche, s’il accepte, il devra revenir dans l’Église et obtiendra l’évêché de
Béziers quand son frère le quittera [33] . Les actes de cession seront
signés ici, en présence du Saint-Père. Il devra donc vous accompagner quand
vous reviendrez. Le capitaine de la barque vous attendra.
» À Marseille, il n’y a qu’une
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