Marseille, 1198
écuyer,
partait recruter des hommes d’armes et des cavaliers. Je dois rejoindre
Richard, mon roi, en Aquitaine et je veux arriver en chevalier banneret.
Un chevalier banneret commandait quatre à six
lances.
— Cela vous coûtera cher.
— J’ai ce qu’il faut pour cette levée
d’hommes, ou en réalité je l’avais. La soirée approchant, surpris de ne pas
voir revenir mon écuyer, je suis allé l’attendre dans la salle commune, puis,
comme il n’arrivait toujours pas, je me suis rendu à l’écurie interroger mon
valet d’armes et l’esclave sarrasin qui gardaient mes chevaux et mes autres
bagages. Il n’y avait personne. Tout avait disparu ! J’ai couru vers
l’aubergiste qui m’a dit que mon écuyer était revenu et qu’il l’avait vu
transporter des affaires. Je suis monté dans ma chambre où tout ce qui avait de
la valeur avait été vidé, en particulier une cassette contenant cinq cents
pièces d’or, tout mon butin !
— Votre écuyer avait-il la clef ?
demanda Ibn Rushd.
— Bien sûr que non ! La clef était à mon
cou !
Il montra la chaîne d’un signe de la main.
— Qui a ouvert, alors ?
— J’y ai réfléchi, mon esclave sarrasin était
fort adroit de ses mains, ce ne peut être que lui.
— Qu’avez-vous fait ?
— J’avais encore mon escarcelle avec quelques
pièces (il frappa dessus), j’ai acheté un cheval à l’aubergiste et je suis
parti à leur poursuite. Ils n’avaient même pas une heure d’avance. À la
première porte, je crois que vous l’appelez la porte de La Calade, personne
n’avait vu de cavaliers leur ressemblant. J’ai un peu perdu de temps à suivre
les lices pour me rendre aux autres portes, finalement j’ai découvert qu’ils
étaient sortis par la porte de l’Annone. Je suis parti sur leur trace.
— Quelle heure était-il ?
— Je l’ignore, mais la nuit tombait. J’étais
pourtant certain de les rattraper et de les tailler en pièces, mais j’ai assez
vite perdu leur trace, ils avaient dû prendre un sentier sans que je m’en rende
compte, ou s’être cachés. Bref, quand l’obscurité a été totale, je m’étais
égaré. J’ai passé la nuit dehors et suis revenu à Marseille à l’ouverture des
portes. Je suis rentré à l’auberge et un valet m’a accompagné jusqu’ici. Vous
devez envoyer des gens à leur recherche !
Fer se tourna vers son écuyer.
— Tu as entendu. Rassemble une dizaine
d’archers et rattrape-les. Ils ne peuvent être loin. Combien sont-ils ?
demanda-t-il au comte saxon.
— Trois. Avec six chevaux et mes bagages, ils
ne peuvent avancer rapidement.
Le Tholoneum, ancien palais des vicomtes, était
une construction massive en forme de tour avec une façade bombée, à peu près à
mi-chemin entre l’église des Accoules et la porte du Marché. À son sommet
flottait l’étendard de la ville : une croix d’azur sur champ d’argent.
Au niveau de la rue, la tour n’était qu’une grande
voûte où se retrouvaient les marchands du quartier, bouchers, fruitiers et
tripiers pour parler des taxes et des approvisionnements. Un escalier de pierre
permettait d’accéder au bureau de la douane et, encore au-dessus, à la grande
salle où se réunissait le conseil consulaire.
Les consuls étaient élus par les marchands et leur
élection proclamée par les cloches de Notre-Dame-des-Accoules. Ils avaient en
charge les affaires de la ville basse, sauf la justice dévolue au viguier.
C’étaient eux qui décidaient des droits de douane pour l’entretien des remparts
et du port, ainsi que des gages des arbalétriers génois. Comme ils se
chargeaient aussi de l’encaissement des droits féodaux, le viguier,
représentant du vicomte, participait à leurs délibérations.
Quand Hugues de Fer entra dans la salle éclairée
seulement par deux torches de résine (deux archères au fond de profondes
embrasures faisaient à peine entrer un rayon de lumière), ils étaient tous
présents, autour d’une lourde table. À la mine sombre des participants, on
devinait que Guillaume Vivaud les avait prévenus que le viguier allait leur
annoncer une bien mauvaise nouvelle.
Fer salua chacun gravement. À droite de son ami
Vivaud était assis Raymond Sarraset, le plus important fabricant de savon et
vendeur d’huile de la ville. Son hérigaud cramoisi au col en fourrure de renard
avait la même couleur que son visage sanguin. On disait que s’il portait une
épaisse moustache et des
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