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Mathieu et l'affaire Aurore

Mathieu et l'affaire Aurore

Titel: Mathieu et l'affaire Aurore Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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répondit dans un murmure, le regard résolument fixé sur le plancher. Elle devait avoir son âge à peu près. Pour elle, il représentait peut-être une tentation coupable.
    — Nous y allons, Marie-Jeanne ?
    La gamine donna son assentiment d’un mouvement de la tête. Ses lèvres portaient une pellicule luisante, elle faisait usage du baume apporté la veille. Sur le banc dans un coin du jardin, il demanda :
    — Les religieuses te traitent bien ?
    — Oui. La nourriture est mangeable, le lit pas trop dur.
    Elle en venait tout de suite à l’essentiel. Le superflu ne faisait pas partie de son univers.

    — La directrice me laisse manger à une table placée un peu à l’écart des autres, avec Georges et Gérard. Ce sera comme cela jusqu’à la fin du procès.
    La religieuse pouvait vouloir épargner à ces enfants une avalanche de questions. Ou peut-être cherchait-elle à éviter que les informations aillent dans l’autre sens. Formulé à haute voix, le récit de ces malheureux risquait de troubler bien des sommeils de petits camarades. Plus simplement, elle souhaitait voir la fratrie se conforter mutuellement, devant l’épreuve à venir.
    — Les garçons savent-ils quel sera ton témoignage ?
    — Je leur ai dit que je ne mentirais pas, que je ne répéterais pas les inventions de maman.
    Mathieu enregistra l’information avec satisfaction.
    — Et aujourd’hui, tu es prête à me préciser quelles sont ses inventions ?
    Elle hocha la tête en guise d’assentiment. Du coin de l’œil, elle surveillait la petite religieuse, recueillie devant la statue de saint Joseph.
    — Moi aussi, j’ai menti.
    — A l’enquête du coroner. Je sais.
    — Pas seulement là. Partout. Même à monsieur Francœur.
    Elle leva un regard un peu désespéré vers lui.
    — C’est mal, de mentir à un député ?
    — Certainement pas, s’exclama son compagnon en riant.
    À soixante pieds, la sœur leva les yeux sur eux. Marie-Jeanne sourit,
    tout
    de
    même
    incertaine
    des
    motifs
    de
    l’amusement soudain de son visiteur.
    — Je t’ai menti aussi.
    — Quand cela ?
    — Chez madame Lemay.

    — Ce n’est pas grave, si tu me dis maintenant la vérité.
    Se confesser ainsi lui coûtait. Après un long silence, elle commença :
    — Quand j’ai dit qu’elle faisait partout, ce n’était pas vrai. Maman racontait cela pour la faire punir.
    — ... Elle ne l’a jamais fait?
    — Peut-être parfois, des accidents. Surtout à la fin... Tu sais, elle n’arrivait pas à se lever, les derniers jours. Maman la faisait descendre quand même à coups de hart. Là, elle a pu s’échapper.
    — Je comprends.
    Pareille brutalité lui paraissait pourtant inconcevable.
    — L’histoire de la merde dans son paletot?...
    — Maman a fait cela pour mettre papa en colère contre Aurore.
    La femme faisait en sorte que son mari déteste sa propre fille, issue d’un premier mariage. Aurore avait perdu sa mère, elle perdait son père au gré de ces affronts sans cesse répétés.
    — Mais où prenait-elle...
    — Dans le pot !
    Marie-Jeanne le regardait, intriguée par sa question.
    Dans son milieu, tous se rendaient à la bécosse le jour. La nuit, le pot de chambre devait suffire. Dans une maison où habitaient sept personnes, Marie-Anne Houde profitait d’une récolte suffisante pour souiller chaque jour toute la garde-robe de son époux.
    — Une fois, continua Marie-Jeanne, elle est montée dans la chambre d’Aurore avec le pot, pour lui en faire manger le contenu. Papa était arrivé du chantier, elle l’a forcée à descendre. Elle en avait encore ici.
    La gamine lui indiquait tout le pourtour de la bouche.

    Mathieu réprima à grand mal un haut-le-cœur, laissa échapper un «Jésus-Christ» sonore. La petite religieuse leva des yeux affolés, prête à accourir. Comme un bon pied le séparait de l’adolescente, elle jugea la morale toujours sauve.
    — Tu n’as jamais dit cela à ton papa ?
    — ... Non.
    Les pleurs couvaient, prêts à sourdre dans une seconde, ce qui terminerait l’entretien.
    —Je ne te fais aucun reproche. Je veux juste comprendre.
    Francœur te posera les mêmes questions que moi, et bien moins gentiment.
    — J’avais peur d’elle, peur qu’elle me fasse la même chose.
    — Et tes petits frères ?
    — Des fois, cela semblait les amuser. D’autres fois, ils se cachaient sous leur lit, effrayés.
    Cette faculté de s’amuser des tortures infligées à un autre enfant ne surprenait

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