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Mathieu et l'affaire Aurore

Mathieu et l'affaire Aurore

Titel: Mathieu et l'affaire Aurore Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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domestiques.
    Après un bref examen des faciès, le stagiaire conclut que toutes ces personnes devaient être des parents sévères.
    Depuis plusieurs semaines, il ne voyait plus que cela dans les rues.
    — C’est elle ! s’exclamèrent plusieurs voix en même temps.
    Marie-Anne Houde, épouse Gagnon, pénétrait dans la boîte un peu surélevée réservée aux accusés. Elle affichait ses habituels habits de deuil et un grand chapeau de paille noir assorti d’une voilette suffisamment translucide pour révéler ses traits et assez opaque pour cacher son regard.
    La silhouette frêle, le ventre arrondi par les grossesses successives - Mathieu en avait compté huit au cours de son existence, y compris une fausse couche -, susciteraient-ils la compassion de la brochette de messieurs mobilisés pour rendre un verdict ? Mathieu en était là dans ses réflexions quand un bruit de porte ouverte puis fermée attira son attention.
    — C’est lui, prononcèrent certains.
    — Il faut se lever, ajoutèrent quelques autres.
    Dans un bruissement de toge, le juge Louis-Philippe Pelletier s’avança vers son banc. Les cheveux gris, une épaisse moustache blanche lui dissimulant la lèvre supérieure, ce vieux conservateur élevé au
    siècle précédent dans
    l’admiration de John A. Macdonald trouvait devant lui une brochette d’avocats libéraux. Successivement député tant au fédéral qu’au provincial, ministre dans le cabinet Borden avant 1914, il devait à la reconnaissance de ce dernier sa nomination à la magistrature.
    Quand Pelletier occupa son siège, tout le monde dans la salle se considéra comme autorisé à reprendre le sien. En se rasseyant, une grosse dame juchée dans les galeries laissa choir son chapeau. L’ornement alourdi de fleurs alla atterrir sur la tête de l’un des jurés.
    — Les dames peuvent conserver leur couvre-chef, et les hommes enlever le leur, grommela le juge.
    La boutade souleva l’hilarité générale. Obligeant, un employé du palais de justice se dévoua pour rapporter la parure à sa propriétaire.

    — Dans la cause de Sa Majesté le roi contre Marie-Anne Houde, épouse Gagnon, maître Fitzpatrick, vous pouvez appeler votre premier témoin.
    — Votre Honneur, annonça Francœur en se levant, auparavant j’aimerais présenter une demande de huis clos.
    — Ah ! Et pourquoi donc ?
    — La nature des informations qui seront entendues ici est susceptible d’entraîner... des réactions peu compatibles avec la dignité de la cour. Déjà, une foule se masse dans cette salle...
    L’avocat sous-entendait que l’assistance se livrerait bientôt à des manifestations bruyantes. Le magistrat parcourut l’assemblée des yeux, des hommes et des femmes capables de s’absenter de leur travail un beau mardi d’avril pour s’enfermer dans ce lieu exigu.
    — Le propre de notre travail, maître, est d’entendre parfois des récits scabreux, souvent navrants. Je ne vois aucune raison de faire évacuer ces gens. Tout accusé a le droit d’être jugé devant ses pairs.
    Ce vieux principe du droit anglais permettait d’éviter des procès bâclés conduisant à des exécutions arbitraires, en plus de rendre les avocats et les juges sensibles à l’opinion publique. De plus, l’exercice prenait une dimension éducative. Les spectateurs
    connaîtraient
    les
    comportements
    acceptables et ceux susceptibles d’entraîner une condamnation. Ils répéteraient
    leurs
    observations
    autour
    d’eux,
    pour l’édification de leurs semblables. La présence de nombreux journalistes jouait un peu le même rôle.
    — Monsieur Fitzpatrick, reprit le magistrat, quel sera votre premier témoin ?
    — Nous allons entendre le docteur Albert Marois, chirurgien à PHôtel-Dieu. Il a effectué l’autopsie de la victime.
    Après avoir prêté serment sur les Saintes Ecritures, pendant plus d’une heure, dans un silence funèbre, le médecin procéda à la lecture du rapport d’autopsie, ses notes à la main,
    ajoutant
    de
    nombreux
    commentaires.
    Le
    substitut du procureur général l’interrompait parfois pour demander:
    — Une blessure de ce genre peut-elle avoir été causée par ce manche de hache ?
    Chaque fois, à l’unisson, l’assistance retenait son souffle, murmurait des «Oh! C’est affreux» quand le praticien répondait par l’affirmative. De cette façon, au gré de la cinquantaine de blessures, l’avocat de la poursuite eut de nombreuses fois l’occasion de placer sous

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