Mathieu et l'affaire Aurore

chargeaient toujours d’ironie, dans un prétoire.
    — Monsieur Mailhot, continua Fitzpatrick en revenant vers le témoin, je comprends que vous avez conservé de bons rapports avec les enfants du couple Gagnon.
    — Oui. Je les ai visités régulièrement depuis l’arrestation de leurs parents.
    — Où habitaient-ils jusqu’à tout récemment ?
    — Dans la maison familiale. Les parents de Télesphore Gagnon sont allés prendre soin de la ferme et des enfants.
    Quand vint son tour, la mine sombre, l’avocat de la défense se contenta de demander quelques précisions au juge de paix. Lorsque le témoin quitta la barre, Louis-Philippe Pelletier leva la tête pour apercevoir une grande silhouette un peu courbée debout au fond de la salle.
    — Ah! Docteur Marois. Je devine que vous vous êtes livré au petit exercice de calcul demandé la dernière fois.
    Approchez-vous. Je vous rappelle que vous êtes toujours sous serment.
    Le médecin prit place à l’avant de la salle d’audience, sortit une feuille de papier de sa poche.
    — Alors, insista le magistrat, ne nous faites pas languir.
    — Les blessures directes, c’est-à-dire celles résultant de coups, de brûlures, ou de la friction des cordes, étaient au nombre de cinquante. Quatre tenaient à l’écoulement du pus. Albert Marois fixait Francœur dans les yeux avec un air de défi.

    — Maître, reprit le juge à l’intention de ce dernier, avez-vous des questions ?
    — Non, Votre Honneur. Je tiens simplement à remercier le témoin pour cette précision.
    Plus personne ne se souvenait de la fameuse « autopsie incomplète», ou des autres causes possibles de la mort évoquées le premier jour avec des airs de mystère. Le plaideur se dispenserait de les rappeler.
    — Maître Fitzpatrick, qui entendrons-nous maintenant?
    poursuivit le juge.
    — Monsieur Arcadius Lemay, de Sainte-Philomène-de-Fortierville.
    Cet homme répéta des informations déjà connues.
    Francœur n’intervint que pour la forme, sans aucun entrain.
    Visiblement, il ruminait autre chose.

    *****
    Vers quatre heures, le paysan quitta les lieux et Louis Philippe Pelletier leva les yeux vers l’horloge.
    — Maître Fitzpatrick, je pense que la preuve de la Couronne s’achève ?
    Présentée de cette façon, la question ressemblait plutôt à un souhait.
    — Votre Honneur, j’en ai terminé. Mon savant confrère peut amorcer sa défense.
    Morose, Francœur se leva à son tour pour admettre :
    — Votre Honneur, au cours de la journée d’hier, un événement important est survenu, surprenant les uns, désappointant les autres. Je devrai consulter ma cliente au sujet de notre stratégie. Aussi, je ne peux commencer avant demain.
    Mathieu ferma les yeux, savoura sa victoire. Le plaideur faisait bien sûr allusion au témoignage de Marie-Jeanne.
    Lui et ses clients avaient dû être à la fois surpris et contrariés de la voir si efficace au service de l’accusation.
    — Soit, conclut le juge de mauvaise grâce, les travaux reprendront demain matin.
    Il quitta la salle dans un bruissement de toge.
    — Un tout nouveau procès commencera demain, commenta Fitzpatrick à voix basse à l’intention du stagiaire.
    — Que voulez-vous dire ?
    — Nos efforts sont couronnés de succès. Francœur ne contestera plus un seul des faits présentés en preuve. Nous avons suffisamment noirci sa cliente pour l’amener à tenter sa chance avec un plaidoyer de folie.
    — Cette femme est saine d’esprit. Toutes ses précautions pour dissimuler les faits, sa conspiration pour charger Aurore de crimes innommables...
    Le substitut du procureur leva la main pour arrêter le flot de paroles.
    — Vous venez de résumer mes arguments. Francœur alignera une brochette de médecins, je ferai la même chose.
    Au terme de l’exercice, les jurés décideront entre deux verdicts.
    — Meurtre prémédité, ou innocence pour cause de folie.
    Le dépit marquait la voix de Mathieu.
    — Au moins, continua l’avocat, cela vous permettra de retrouver vos livres une heure plus tôt aujourd’hui.
    — A ce sujet, la semaine prochaine...
    — Votre présence me semblait essentielle à l’étape du témoignage des enfants. J’ai eu raison. Dorénavant, vous viendrez l’après-midi. Le défilé des médecins vous édifiera.

    L’employé adressa un sourire reconnaissant à son interlocuteur.
    — Au procès de Télesphore Gagnon, les enfants reviendront toutefois à la barre. Je compterai alors sur