Mathieu et l'affaire Aurore

vous une autre fois.
    Le stagiaire acquiesça de la tête. Après les salutations, l’équipe de l’accusation se dispersa.

    Chapitre 23

    Le lendemain, à la reprise des travaux, le juge Pelletier déclara d’entrée de jeu:
    — La présentation de la preuve de la Couronne terminée, la parole est maintenant à la défense.
    La prévision de Fitzpatrick, formulée la veille, se réalisa alors.
    — Votre Honneur, commença le député plaideur, au nom de ma cliente et avec son complet accord, je renonce à essayer de contredire cette preuve. Si tout cela est vrai, et devant la formidable avalanche des faits, il ne faut plus en douter, nous sommes en face d’un monstre à figure humaine.
    Cet aveu plongea toute l’assistance dans la plus profonde stupeur.
    —Je crois de mon devoir d’attirer l’attention de la cour sur les circonstances vraiment extraordinaires qui ont entouré ce drame. En particulier sur l’état d’âme que révèle, chez l’accusée, la série d’actes anormaux, et dans mon opinion, pathologiques, qui ont entraîné la mort de cette enfant.
    — Maître Francœur, si vous comptez plaider la folie, il faudra en faire la démonstration.
    Le magistrat exprimait son scepticisme avec un sourire ironique.
    — D’abord, j’aimerais que deux médecins procèdent à un examen physique de Marie-Anne Houde, afin de voir si elle souffre
    d’une
    quelconque
    maladie
    physique.
    Surtout,
    je voudrais que l’on confirme qu’elle se trouve dans un état... intéressant.
    L’euphémisme du vieux garçon fit froncer les sourcils, puis tous les regards se portèrent sur la silhouette de la prévenue. Le ventre présentait un arrondi bien apparent.
    La femme était enceinte.
    — Entendu, déclara le juge. Vous avez des noms a proposer ?
    — Les docteurs Albert Marois et Emile Fortier. Vous connaissez le premier. Le second travaille à l’hôpital Saint-François-d’Assise.
    La manœuvre paraissait habile : personne ne soupçonnerait le chirurgien
    de
    l’Hôtel-Dieu
    de
    livrer
    un
    diagnostic
    de complaisance.
    — D’accord. Mais pour un plaidoyer de folie...
    Le magistrat laissa la phrase en suspens.
    — Deux médecins jugeront de son état mental, le docteur Alcée Tétreault, de l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu, et le docteur Albert Prévost, professeur à l’Université de Montréal. Des collègues de Québec les assisteront sans doute.
    — En conséquence, précisa Pelletier, la Couronne désignera aussi ses spécialistes pour procéder à une contre-expertise.
    Ce nouveau plaidoyer signifiait en quelque sorte l’inversion du fardeau de la preuve. Les médecins de la défense tenteraient d’établir la folie de l’accusée et ceux de la Couronne, sa bonne santé mentale.
    — Comme mon savant confrère nous a réservé cette surprise, déclara Fitzpatrick en se levant, je ne peux vous donner le nom de spécialistes aujourd’hui.
    — Vous les fournirez le plus tôt possible.

    Pelletier se tourna vers les jurés. Un peu penché vers l’avant, il commença:
    — Messieurs, voilà une journée gâchée. Je suis terriblement navré de devoir vous garder encore enfermés pendant plusieurs jours. Vous et moi, nous sommes conscrits au service de la justice. L’accusée a le choix d’utiliser tous les moyens de défense. Elle peut changer sa tactique au début, au milieu ou à la fin du procès. Des médecins viendront risquer leur réputation à la barre des témoins. Notre devoir est de les entendre à tête reposée, et surtout, avec l’esprit libre de tout préjugé.
    Le magistrat regarda en direction de la table de la défense. L’avocat risquait lui aussi sa réputation sur sa volte-face.
    — Préjugés ! reprit-il. Vous comprenez ce que je veux dire. Votre verdict devra reposer sur le seul examen des faits présentés devant vous. En conséquence, pour ne pas être influencés, vous serez privés de votre famille aujourd’hui et demain, dimanche. Vous demeurerez séquestrés.
    A la mine des douze hommes, ceux-ci envisageaient sans plaisir de passer toutes ces longues journées en tête-à-tête.
    — Je demanderai à mon personnel d’organiser une excursion pour vous, afin de vous aider à passer le temps.
    Cela les réconforta à peine.

    *****
    Depuis les dernières semaines, les jours de repos de Mathieu se raréfiaient. Le lendemain, un dimanche, il entendait se reprendre. Debout sur le parvis de l’église Saint-Roch, l’attente lui parut longue. Monseigneur