Mathieu et l'affaire Aurore

toutes les coupures et de toutes les écorchures. Elle semblait réciter une litanie. Sur une cuisse, elle découvrit de nombreuses plaies. Un effleurement de l’une d’entre elles fit sourdre un peu de pus.
    — C’est comme si elle pourrissait de l’intérieur, dit le beau-père.
    La remarque fit frissonner la jeune femme.
    — Retourne-la, demanda Arcadius.
    La longue évocation des blessures recommença. A la fin, la bru enfila une petite robe blanche sur le cadavre nu. Sa tâche terminée, elle se recueillit un moment au pied du lit, absorbée dans une prière.
    — Je vais la transporter, décida-t-elle ensuite. Elle pèse une plume. Occupe-toi de la lampe.
    Elle prit le corps avec une grande douceur, comme s’il avait été celui d’un enfant endormi que l’on craignait de réveiller. Arcadius, la lampe dans une main, ouvrit la porte.
    Tous les deux formaient un étrange cortège. Dans un silence absolu, elle se dirigea vers le salon. Les meubles avaient été déplacés afin de dégager un angle de la pièce. Le corps fut étendu sur une table étroite placée contre le mur.
    — Comme elle est belle !
    Les paroles de Marie-Anne Gagnon parurent tellement incongrues que chacun fit semblant de n’avoir rien entendu.
    — Qu’est-ce qu’elle a à la tête ? fit une voix.
    —- Son voile, s’énerva la belle-mère. Je vous avais dit de lui mettre son voile de première communion, et aussi quelque chose aux pieds.
    Elle s’absenta avant de revenir avec une toile en mousseline légère et une autre en lin, joliment brodée. Les mains tremblantes, elle couvrit la tête de la morte, plaça les plis légers de façon à cacher totalement à la fois la bosse si molle et les cheveux coupés à environ un pouce du crâne. Afin d’en finir plus vite, la bru des Lemay se chargea d’envelopper les petits pieds avec la seconde pièce de tissu.
    Marie-Anne Gagnon se recula un peu et garda le silence, pensive devant sa belle-fille.
    — Il faut faire descendre les enfants, déclara-t-elle encore, afin qu’ils disent un dernier au revoir à leur petite sœur.
    Une parente accepta de se dévouer. Un moment plus tard, Georges le plus jeune en premier et Marie-Jeanne la plus âgée en dernier, les enfants se tenaient devant la table, la mine grave, un peu abasourdis par la succession des événements depuis le matin.
    — Votre petite sœur se trouve maintenant au milieu des anges.
    Plutôt que de se mettre à hurler comme une folle, la bru des Lemay se précipita à l’extérieur de la maison, seulement vêtue de sa robe, la tête nue.
    — Je vais l’aider, déclara Exilda à son mari.
    Afin de mettre fin à l’affreux malaise dans la pièce, l’abbé Massé dit de sa voix grave, adaptée à ces circonstances dramatiques :
    — Si vous voulez bien vous mettre à genoux, nous allons dire un chapelet pour le repos de l’âme de notre sœur Aurore. Si Dieu le veut, elle se trouve déjà au paradis.
    Le prêtre ne donnait même pas à l’enfant la présomption du salut éternel. Dehors, Exilda trouva sa belle-fille pliée en deux, en train de vomir ses tripes. Elle prit une poignée de neige pour la lui poser sur le front.

    *****
Excepté la nécessité de rater le cours de droit du vendredi matin,
    se
    rendre
    à
    Sainte-Philomène-de-Fortierville

    ne présentait aucun inconvénient particulier. À sept heures du matin, Mathieu descendait d’un taxi dans la rue Claire-Fontaine pour aller sonner à la porte du docteur Caron. Le praticien sortit tout de suite, un sac de voyage à la main.
    — Bonjour, jeune homme. J’ai suivi votre conseil, j’emporte des vêtements par mesure de précaution, mais je compte revenir coucher chez moi ce soir.
    — Je vous le souhaite, mais ni vous ni moi ne serons responsables de la célérité des procédures.
    — La petite fille..
    — Elle est décédée en soirée. Le juge de paix m’a joint à la maison pour me l’apprendre.
    En montant à l’arrière de la voiture, Caron laissa échapper un long soupir.
    — Cela signifie que le docteur Marois devra faire son autopsie et le détective, rallier des témoins.
    — Votre collègue se trouve sans doute déjà à la traverse.
    J’ai son billet de train dans ma poche.
    Cette expédition pesait un peu trop sur les ressources financières de Mathieu. Cette course en taxi et les trois billets de train représentaient son salaire hebdomadaire.
    Quelques minutes plus tard, son compagnon et lui descendaient sur le quai. Un