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Mathieu et l'affaire Aurore

Mathieu et l'affaire Aurore

Titel: Mathieu et l'affaire Aurore
Autoren: Jean-Pierre Charland
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sortie en remettant son chapeau.

    Chapitre 3

    La mort dans l’âme, Oréus Mailhot avala un repas léger, son premier depuis le matin, puis il attela son cheval. La nuit tombée, sous un ciel étoilé, le trajet le réconcilia un peu avec l’existence. Les lisses du traîneau crissaient sur la neige gelée, la petite jument exhalait un long jet de vapeur blanche à chacune de ses respirations.
    Rangeant sa voiture le long de la maison, il en compta quatre autres. Il fouilla sous la banquette pour chercher un sac d’avoine. Dès qu’il fut à sa portée, la jument y enfonça le museau. Une sangle permettait de le lui accrocher derrière les oreilles.
    Comme
    cela,
    la
    bête
    pourrait
    mâchouiller
    le tissu à sa guise, une fois les grains avalés. Puis, il lui posa l’épaisse robe de carriole sur le dos.
    Les soins apportés à son cheval lui permettaient de retarder son entrée dans la maison. Il se décida quand le docteur Lafond sortit.
    — Est-elle...
    — Il y a dix minutes à peine. Je n’ai pas voulu rédiger tout de suite un acte officiel.
    — Vous ne sauriez pas quoi mettre à la section « Cause du décès».
    A la lueur de la lune, l’autre le dévisagea longtemps.
    — Il faudrait une autopsie pour le savoir exactement, confia-t-il.
    — Vous avez vu son état !

    — Elle a été maltraitée comme une bête, nous le savons tous les deux. Mais elle peut tout aussi bien être morte d’une cause naturelle. Sa belle-mère évoque la tuberculose.
    — Jésus-Christ!
    Le médecin le salua d’un mouvement de tête, puis regagna son attelage. Dans la maison, Mailhot reconnut tous ceux qui se trouvaient là dans l’après-midi, avec quelques parents en plus. Télesphore se tenait dans un coin avec des demi-frères et des demi-sœurs. Le nouveau venu traversa la cuisine d’été sans s’arrêter pour aller dans la chambre de la morte.
    Aurore, maintenant tout à fait immobile, paraissait plus menue et plus pâle encore. La pièce était éclairée seulement par deux bougies posées sur une commode. Il se recueillit, puis une présence se fit sentir derrière lui.
    — Si cela vous paraît convenable, mon mari et ma bru pourront l’ensevelir. Moi, je n’ai pas la force de faire cela.
    Exilda Lemay, la voisine, utilisait le mot «ensevelir» à l’ancienne : laver le corps et le revêtir de ses derniers habits.
    Dans le cas des hommes, un rasage s’ajoutait à ces ultimes soins.
    — Oui, bien sûr. Je n’ai plus rien à faire ici, je vais rentrer chez moi.
    — ... Que va-t-il se passer ?
    — Vous pouvez garder un secret ?
    La voisine hocha lentement la tête. Elle présentait les paupières d’une femme qui a pleuré récemment.
    — Les gens du bureau du procureur général seront là demain, avec un détective de la Police provinciale.
    Alors, ouvrez bien vos oreilles, ce soir. Si vous apprenez quoi que ce soit, vous pourrez le répéter à l’enquête du coroner.

    Elle donna son assentiment d’un autre signe de la tête.
    Pendant qu’Oréus traversait la cuisine d’été sans rendre leur salut aux personnes présentes, il entendit Télesphore affirmer :
    — Celle-là va faire jaser.
    — Mais je te l’avais dit, rétorqua une voix féminine, et tu n’as rien fait.
    Tout le bas du septième rang était donc au courant de ces mauvais traitements, peut-être même toute la paroisse, sauf le juge de paix.

    *****
Un coup de fil avait permis à Mathieu de se ménager un court instant avec Flavie. Le jeune homme l’attendait au pied du grand escalier du commerce, au rez-de-chaussée.
    Des clients, et surtout des clientes, s’agitaient entre les étals, tâtaient la marchandise du bout des doigts, passaient bien vite à un autre objet de convoitise.
    Les ateliers, les manufacturiers et les bureaux de la Basse-Ville avaient fermé leurs portes moins d’une heure plus tôt. Avant de rentrer à la maison, de nombreuses personnes s’arrêtaient dans les grands magasins de la rue Saint-Joseph, de vastes établissements dont les trésors faisaient rêver d’un confort meilleur. Et si la plupart répondait à la sollicitation des employés par un simple «Non, je regarde, merci » un peu gêné, les caisses finissaient tout de même par sonner avec une belle régularité.
    La jeune femme apparut sur le palier après quelques minutes et lui adressa un sourire un peu inquiet. Mathieu put apprécier le galbe de la jambe de sa situation en contre-plongée. Depuis la guerre, les robes
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