Mathieu et l'affaire Aurore
? Vous n’avez pas le droit...
— Tout à l’heure, un magistrat venu de Québec tiendra une enquête sur la mort de votre fille, dans la sacristie. Vous devrez vous y présenter, et témoigner si on vous le demande.
— Témoigner de quoi?
La plus grande surprise se peignit sur le visage du cultivateur.
Rendre compte de ce qui se passait dans sa maison lui paraissait inconcevable.
— La petite, qu’est-ce qu’il va lui faire ? intervint son épouse d’une voix plaintive en se levant à son tour.
Elle destinait la question à son mari, mais Couture, tout en rabattant l’autre moitié du drap sur le corps, répondit d’une voix bourrue :
— Le médecin fera une autopsie, pour savoir de quoi elle est morte.
Elle posa sur lui ses yeux globuleux. Visiblement, elle ne comprenait pas, ou feignait de ne pas comprendre.
— Il va examiner tout son corps, précisa le lieutenant détective, l’ouvrir aussi pour trouver la cause de sa mort.
— L’ouvrir ? Il ne peut pas faire cela, ce n’est pas chrétien.
La femme baissa la tête, éclata en sanglots.
— Elle avait la tuberculose, je le sais, moi. Nous allons tous mourir de cette maladie.
Argumenter ne donnerait rien. Pendant que le détective achevait d’envelopper Aurore, il conclut l’échange d’une voix impatiente :
— Vous expliquerez tout cela au coroner, si celui-ci juge bon de vous interroger, ou alors devant un tribunal, plus tard, si des accusations sont portées. Moi, je dois apporter son corps là où le médecin légiste procédera.
Il prit Aurore dans ses bras avec précaution. Devenu rigide, son fardeau faisait penser à une petite boîte allongée.
Quand il se présenta devant la porte du salon, Exilda Lemay ouvrit.
— Monsieur Gagnon, précisa le policier sans se retourner, je vous verrai tout à l’heure à la sacristie. Si vous n’y êtes pas, j’ai le pouvoir de vous y amener de force.
Plusieurs personnes se tenaient près de l’entrée du salon, elles devaient tendre l’oreille depuis un certain laps de temps pour ne rien perdre des échanges. Elles formèrent une haie pour le regarder passer avec la jeune victime que Couture posa ensuite dans la boîte de la petite voiture de livraison.
Chapitre 4
Même enfoncé bas sur le front, un chapeau melon offrait une protection bien illusoire contre le froid et, surtout, le vent de février. En rangeant sa voiture près du presbytère, Couture jurait contre tous les paysans brutaux de la province.
Heureusement, le juge de paix sortit tout de suite, accompagné par le stagiaire du bureau du procureur général, pour venir le rejoindre.
— Depuis tout à l’heure, vous avez pu former un jury?
— Oui, répondit Mailhot. Six bonshommes, de gros cultivateurs ou des notables du village, vont nous rejoindre à la sacristie d’ici une heure ou deux. De toute façon, selon ce que j’ai compris, l’enquête ne commencera pas avant la fin de l’autopsie.
— Pensez-vous que l’un ou l’autre se dérobera à son devoir ? Je ne veux pas courir la campagne pour les amener là.
Le policier tenait les paumes de ses mains bien à plat sur ses oreilles devenues insensibles, il frappait ses talons sur le sol pour rétablir la circulation sanguine dans ses orteils.
— Ne craignez rien, tous seront au rendez-vous, moins par sens du devoir que par curiosité.
— Tant mieux. Prenez le corps.
Le marchand jeta un regard effaré sur la forme blanche au fond de sa voiture.
— Non... Je dois m’occuper de ma jument. Elle va attraper la crève.
Comme pour prouver sa sincérité, il se dirigea vers la tête de l’animal pour lui caresser les naseaux.
— Vous, prenez-la.
Ce fut au tour de Mathieu d’avoir un haut-le-cœur. Mais le souvenir de l’injonction de son patron l’emporta sur ses réticences : il devait se rendre utile. Dans ses bras, le corps lui parut étrangement léger.
— Je dois la mettre dans la sacristie ?
— Où doit avoir lieu l’autopsie ?
— Au sous-sol de cette bâtisse.
Les mains toujours sur les oreilles, le policier se dirigea vers l’église. Erigé en 1886, l’édifice paraissait bien grand et très majestueux pour une aussi petite localité. Le clocher lançait sa flèche vers un ciel d’un bleu uniforme. La sacristie se trouvait à l’arrière du bâtiment principal. Les réunions des sociétés pieuses s’y déroulaient. Le prêtre pouvait même y célébrer parfois des messes basses.
Toujours soucieux de protéger ses
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