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Mathieu et l'affaire Aurore

Mathieu et l'affaire Aurore

Titel: Mathieu et l'affaire Aurore Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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ici.
    — Vous y êtes depuis longtemps ?
    La lumière d’une seconde lampe à pétrole agrandissait le cercle où l’on voyait à peu près bien. Rasséréné, le vieux médecin retrouvait assez de savoir-vivre pour s’intéresser au sort de ses semblables.
    — J’ai ouvert mon cabinet en 1910.
    — Les gens ne sont sans doute pas riches dans ce trou perdu. Cela ne doit pas rapporter beaucoup.
    — Je soigne souvent à crédit... Mais ces cultivateurs mettent beaucoup de fierté à régler leur dû, même si c’est parfois avec deux ou trois ans de retard. Puis, je me rattrape un peu sur la vente des médicaments. Il n’y a pas de pharmacie à des dizaines de milles à la ronde.
    — Cela ne durera peut-être pas. Vos patients pourront les faire venir par la poste, grâce au catalogue Eaton !
    Marois s’était fait un peu railleur. Tous les marchands de la campagne souffraient de cette concurrence. Ce catalogue, avec le missel, constituait l’un des deux livres présents dans toutes les maisons. La qualité des services postaux assurait des livraisons rapides partout au Canada.
    — Nous allons approcher ces chaises et y mettre les lampes, continua-t-il en revenant au motif de sa présence en ces lieux, le temps de déballer ce colis. Nous ne voulons pas y mettre le feu, n’est-ce pas ?
    Pendant que ses deux aînés se débarrassaient enfin de leur manteau, l’étudiant cherchait les sièges branlants afin de les rapprocher de la petite table. Ces lampes à pétrole avaient en effet le défaut de devenir très brûlantes.
    Il convenait d’éviter tout contact avec la peau ou les textiles.
    Marois entreprit de déplier le drap afin d’exhiber le corps. Avec l’espoir de dissimuler son émotion, il demanda d’une voix bourrue :
    — Elle était votre patiente ?
    — Oui... Toutefois, cela ne signifie pas que je la connaissais.
    — C’est-à-dire ?
    L’homme saisit l’épaule droite de l’enfant pour la retourner. Il commença par détacher le bouton de la robe juste sous la nuque, puis deux autres au milieu du dos. Quand ils l’avaient vêtue, Arcadius Lemay et sa bru avaient un peu bâclé le travail.
    — J’ai été appelé en consultation l’été dernier pour une vilaine blessure au pied. Je l’ai vue à six reprises pour cela.
    — Six fois ? La blessure était donc grave.
    — Non, pas vraiment. Mais la mère négligeait mes directives. Faire un simple pansement paraissait au-dessus de ses compétences. A la fin, à la mi-septembre, il a fallu la faire transporter à l’Hôtel-Dieu. Elle y a séjourné un mois.
    A eux deux, une fois la fillette remise sur le dos, ils firent glisser la robe vers le bas. Mathieu contemplait le corps maintenant totalement nu, partagé entre une envie de pleurer et un haut-le-cœur. Deux détails le touchaient particulièrement: les cheveux longs d’un pouce, tout au plus, et les pieds nus.
    Bien sûr, peu de familles de cultivateurs sacrifiaient une paire de chaussures à l’heure d’ensevelir un proche, si d’autres membres de la famille pouvaient en profiter. Tout de même, les petits orteils recroquevillés le touchaient au cœur.
    — Vous n’allez pas tourner de l’œil, tout de même !
    maugréa Marois en posant les yeux sur lui.
    Le vieil homme marqua une pause, se raidit contre toute forme d’attendrissement. Il fouilla des yeux le contenu de cette cave humide, repéra dans un coin une petite table montée sur des pieds en fonte, un ancien pupitre scolaire.
    — Placez-le ici. Nous masquerons la scène de nos corps.
    La plus petite des lampes suffira, pour vous permettre d’écrire.
    Le jeune homme s’installa comme on le lui disait.
    — Avez-vous eu l’occasion de lire des rapports d’autopsie produits
    lors
    d’enquêtes
    du
    coroner?
    demanda
    le
    médecin.
    — Evidemment, dont plusieurs des vôtres.
    —Je vous permets donc de copier mon style, très facilement imitable. Si vous réussissez, je mettrai simplement ma signature en bas de la feuille, pour sauver du temps.
    Caron veut coucher dans sa famille ce soir.
    L’homme sortit d’abord de sa mallette en cuir quelques feuillets portant son monogramme afin de les placer devant lui. Au moment où il extirpa un morceau de cuir pour le dérouler, le stagiaire baissa les yeux. Il contenait un assortiment de couteaux aux lames luisantes, et une scie. Suivirent des bocaux en verre fermés hermétiquement avec des couvercles en métal.
    Puis, le docteur s’arrêta, les yeux fermés,

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