Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Mathieu et l'affaire Aurore

Mathieu et l'affaire Aurore

Titel: Mathieu et l'affaire Aurore Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
Vom Netzwerk:
les affaires de la famille.
    Quand ils furent suffisamment loin, il marcha de l’étable vers la maison. En ouvrant la porte, il lança :
    — Jésus-Christ!
    Sa femme revint de la pièce à côté avec le bébé dans les bras, les deux garçons préférèrent monter à l’étage, dans leur chambre. Au temps où leur mère naturelle régnait sans partage sur la demeure, ils se sentaient en relative sécurité.
    Maintenant, la lignée de Télesphore prenait le haut du pavé.
    — Ne sacre pas comme cela... Du moins pas dans la maison, concéda la vieille femme après une pause.
    — Qu’est-ce qu’ils nous veulent encore ? Les avoir mis en prison tous les deux, cela ne leur suffit pas ?
    — Ils veulent savoir ce qui s’est passé dans cette maison, tu le sais bien.
    — Baptême, ce ne sont pas leurs affaires.
    La vieille regarda le bébé pressé contre sa poitrine, comme si elle craignait que les gros mots produisent une impression indélébile sur son cerveau.
    — Depuis sa naissance, hurla l’homme, la fille était une vicieuse, une possédée du démon. Elle montait sur lui, elle était en train de devenir la maîtresse de la maison.
    — C’était une petite fille !
    — Possédée du démon, je te dis. Elle a tout fait pour le rendre fou. Toi aussi, tu l’as entendu tout nous raconter.
    Comme de nombreux autres membres de la famille, l’aïeule avait entendu son fils énumérer les frasques parfois odieuses de la gamine. D’abord, il avait clamé la nécessité de rester le maître de la maison, « de l’empêcher de monter sur lui». A la fin pourtant, il confessait son impuissance à faire cesser les comportements les plus outranciers, au point de déclarer forfait, de ne plus la châtier.
    — Pourtant, elle est morte, déplora la grand-mère.
    Ce dénouement cadrait mal avec les dernières confidences entendues en janvier, pendant la veillée au corps d’un autre de leurs fils, Anthime. Selon ses propres paroles, Télesphore ne la battait plus.
    — Elle était malade, affirma Gédéon. Elle est morte de la tuberculose.
    Sa femme le regarda longuement, songeuse. Le cœur lui avait manqué, à l’enquête du coroner. Plutôt que de voir ces étrangers traîner sa famille dans la boue, elle était restée peureusement près de son poêle, un châle sur les épaules.
    De toute façon, les hommes dirigeaient ce genre de procédure, les femmes jouaient le plus mauvais rôle. Depuis, des voisins charitables lui égrenaient des bribes du rapport d’autopsie.
    — Tu crois vraiment à cette tuberculose qui donne des yeux au beurre noir et fait enfler tout un côté de la tête ?
    — En tout cas, il ne faut pas cesser de le répéter.
    Bien sûr, à force de colporter le même mensonge, certains affecteraient d’y croire. Une constance suffisante en ferait une vérité, à la longue.
    — Si ce n’est pas la tuberculose, que veux-tu que ce soit ?
    maugréa le vieil homme.
    Son ton trahissait son besoin désespéré de le croire. La femme regarda le bébé dans ses bras.
    — Le bon Dieu devrait venir te chercher, murmura-t-elle. Les autres aussi. Ce serait tellement plus simple.
    Dans la paroisse, les Gagnon faisaient déjà l’objet d’un ostracisme discret. Certains feignaient de ne plus les voir, d’autres allaient jusqu’à changer de chemin pour ne plus les croiser. Au moment de se présenter, des individus affligés du même patronyme précisaient: «Je ne suis pas parent avec ceux-là. Je ne les connais même pas.» Si ces étrangers continuaient de fouiller dans les affaires de la famille, tous les Gagnon craindraient de décliner leur identité.
    — Je me demande bien ce qu’elle peut lui raconter, s’inquiéta le vieil homme.
    — Je suppose qu’elle lui dit la vérité.
    Rien ne pouvait lui paraître plus menaçant.

    *****
    Quand le duo arriva près du boisé, Marie-Jeanne s’engagea dans un chemin forestier habituellement battu par les traîneaux. Comme son père ne l’utilisait plus depuis près d’un mois, une couche de neige molle, collante, le recouvrait déjà.
    — Nous ne pourrons pas aller plus loin, déclara la fillette. C’est dommage, il fait bon ici.
    Les arbres les protégeaient du vent, le soleil de mars se montrait chaud.
    — Nous pouvons tout de même nous asseoir un peu, continua-t-elle.

    Près de la piste, un amoncellement de billes de bois coupées à une longueur de quatre pieds attendait d’être

Weitere Kostenlose Bücher