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Mathieu et l'affaire Aurore

Mathieu et l'affaire Aurore

Titel: Mathieu et l'affaire Aurore Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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provoqua un haut-le-cœur chez le jeune homme.

    — Que faisait Aurore ?
    — Elle hurlait et surtout, elle se débattait. A cause de cela, maman prenait un gros câble pour l’attacher après la patte de la table.
    Mathieu imaginait la scène. Diverses postures permettaient de soumettre une enfant de dix ans pour lui infliger ce traitement: pliée en deux sur le dessus de la table, ou alors étendue par terre, les jambes attachées au meuble.
    Dans tous les cas, cela devait donner une petite fille se tordant de douleur, hurlant à pleins poumons.
    — Le tisonnier était rougi au feu, murmura le jeune homme d’une voix blanche.
    — Oui. Maman enlevait un rond du poêle pour le planter comme cela dans les flammes.
    Marie-Jeanne mima le geste. L’instrument devait rester coincé entre les bûches, laissant un trait de fer oblique au-dessus du poêle.
    — Elle attendait vraiment qu’il soit rouge ?
    — Oui. Un beau rouge foncé, le rouge du diable, disait-elle, comme dans les images du petit catéchisme. Tu connais ?
    Le jeune homme fit un signe d’assentiment. En guise de prix de fin d’année, à l’école, il avait reçu une édition soignée du catéchisme, reliée de toile grise. Parmi les quelques gravures insérées dans le livre, il s’en trouvait bien une représentant des diables dansants, imprimés en rouge.
    — Des fois, le fer devenait blanc. Elle le passait alors sous l’eau pour lui redonner la couleur du sang.
    — Même la poignée devait devenir brûlante.
    — Pas tant que cela. C’était rouge sur cette longueur.
    Elle indiquait environ six pouces. Mathieu ne prêta pas attention à l’information sous-entendue dans ces paroles, tellement la confidence l’ébranlait.

    — Combien de fois Aurore a-t-elle été brûlée de cette façon ?
    — Je n’ai pas compté.
    — Une fois ? Deux fois ?
    — Oh ! Bien plus que cela. Dix fois ? Je ne sais pas.
    La scène s’était répétée assez souvent pour qu’elle en perde le compte.
    — Cela est survenu longtemps avant sa mort ?
    Devant la mine interrogative de la petite fille, l’homme précisa :
    — Après Noël ?
    — Oui.
    Les multiples plaies au dos des jambes, des genoux, entre les cuisses, lui revenaient en mémoire. Certaines évoquaient les coups reçus. Les autres pouvaient bien venir du contact d’un objet rougi au feu.
    — Ta mère l’a déjà brûlée avec autre chose que le tisonnier ?
    — Le fer à friser.
    — Tu veux me raconter aussi ?
    Marie-Jeanne porta la main à son bonnet, comme pour soulager un picotement.
    — Un jour, maman a mis le fer à friser sur le poêle, puis elle a dit à Aurore : «Viens, je vais te faire une beauté. » Elle a pris un bout de cheveux ici, puis elle a tourné de toutes ses forces. L’instrument était si chaud que les poils ont grillé, et un grand morceau de peau aussi.
    — Mais Aurore avait les cheveux très courts !
    — Ils étaient assez longs pour que maman en ramasse un peu, en collant le fer contre la peau.
    Elle avait pu pincer un bout de l’épiderme entre les deux branches de l’instrument de toilette. L’objectif était d’infliger une torture, pas de la coiffer.
    — Tu sais pourquoi Aurore portait ses cheveux à cette longueur-là ?
    — Maman les coupait pour faire disparaître la vermine.
    Elle disait qu’autrement toute la famille en aurait.
    — Et finalement, tu as attrapé des poux aussi ?
    — Non, jamais. Ma sœur non plus, d’ailleurs.
    La coiffure ridicule de la victime servait à la retrancher du reste du genre humain, rien d’autre.
    — Le jour où tu t’es sauvée dans les champs...
    Elle leva les yeux sur lui, étonnée du changement de sujet.
    — Oui?
    — Ton père voulait te battre à l’instigation de ta mère ?
    — ... Oui.
    — Tu peux me dire ce qu’elle lui a raconté ?
    — ... Je ne m’en souviens pas.
    Les yeux de Marie-Jeanne se portèrent vers les grands arbres dénudés. Les branches ressemblaient à d’immenses bras décharnés dirigés vers le ciel dans une prière muette.
    — Cette accusation était fausse, comme dans le cas d’Aurore et de la paillasse ?
    — Je ne m’en souviens pas.
    Une pointe d’inquiétude pointait dans sa voix. Parler de sa sœur lui pesait moins que de parler d’elle-même.
    — Je suis fatiguée. Je veux rentrer, murmura-t-elle bientôt.
    Mathieu songea à insister un peu, tellement l’arrêt des confidences à ce moment lui paraissait regrettable. D’un autre côté, la délicatesse

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