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Mathieu et l'affaire Aurore

Mathieu et l'affaire Aurore

Titel: Mathieu et l'affaire Aurore Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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son toit et à sa table.
    Le marchand revint tout de suite au sujet de ses préoccupations.
    — A l’entendre, les preuves sont bien minces.
    — C’est vrai. En réalité, nous avons le rapport d’autopsie, et rien de plus.
    — Les témoins...
    — Un jeune homme...
    — Emilien Hamel, précisa le juge de paix.
    Les départs des paroissiens, à la gare, se trouvaient abondamment commentés.
    — Ce gars a dit que Télesphore battait sa fille de façon plutôt raisonnable. Une femme a affirmé que notre bon père de famille ne touchait plus à sa fille, car ses châtiments ne permettaient pas de l’amener à un meilleur comportement. Une autre a expliqué combien la fillette se révélait difficile à élever.
    — Ce sont des parents à lui, ils ne peuvent pas trop le charger.
    — Parents ou non, au bout du compte, l’accusé paraît être un bon père de famille soucieux du salut d’une enfant immorale.
    — A coups de fouet !
    Le témoignage de l’accusé, à l’enquête du coroner, hantait les mémoires de toutes les personnes présentes.
    — Mais s’il fallait poursuivre tous les pères qui battent leurs enfants, commenta Mathieu en reprenant sans vergogne les arguments de Fitzpatrick, la province se dépeuplerait dangereusement. Dans cette paroisse seulement, combien de vos concitoyens échapperaient aux poursuites ?
    La difficulté, dans cette affaire, tenait justement à la trop grande tolérance des gens à l’égard des punitions corporelles.
    Ceux
    qui
    refusaient
    de
    les infliger se
    trouvaient
    suspectés de négliger leurs devoirs de parents : à l’opposé, les pères fouettards paraissaient vertueux.
    — Pourquoi l’enquête préliminaire de la femme Gagnon a-t-elle été remise ? demanda Mailhot, las de gloser sur les mœurs de ses concitoyens.
    — La pauvre a eu la grippe. Depuis l’épidémie, la moindre toux incite à retarder les rassemblements publics, à cause du risque de contagion. Son tour devait venir hier, avec le témoignage de Marguerite Lebœuf. La pauvre fille devra refaire le trajet la semaine prochaine.
    — Vous pensez que Marie-Jeanne pourra témoigner lors de cette étape ?
    — Cela n’a pas été prévu. Je viens voir quelles sont ses dispositions. Elle a tout vu, au cours des deux dernières années.
    Mais le résultat du témoignage d’un enfant demeure imprévisible.
    Mailhot secoua la tête, pessimiste.
    — A l’enquête du coroner, elle a menti.
    — Depuis trois semaines, elle ne vit plus sous la menace de ce couple infernal. Cela peut lui délier la langue.
    Ils arrivaient devant la ferme des Gagnon, Mathieu descendit.
    — Dois-je revenir vous prendre ? demanda son hôte.
    — Grâce à ces vêtements, je peux braver le mois de mars.
    Je reviendrai à pied. Mais selon vous, le vieux couple risque-t-il de me recevoir à coups de calibre douze ?
    — Les lois de l’hospitalité de nos campagnes le lui interdisent.
    Muni de cette bien pauvre assurance, le jeune homme alla frapper à la porte de la cuisine d’été. Au moins, une conversation téléphonique tenue la veille lui avait permis d’avoir l’accord de la fillette.

    *****
Quand il eut frappé une troisième fois, une vieille dame toute ratatinée vint ouvrir.
    — Madame Gagnon, bien le bonjour.
    Elle ne mesurait pas plus de cinq pieds, plus probablement un pouce ou deux de moins. Des grossesses innombrables lui donnaient la silhouette d’une barrique.
    — Qu’est-ce que vous voulez ?
    — Allez-vous me laisser entrer ?
    La vieille le regarda par en dessous de ses yeux d’un gris acier, celui d’une lame. Puis, elle s’écarta un peu.
    Dans la pièce, Mathieu découvrit les trois enfants assis à table.
    — C’est pour moi, déclara Marie-Jeanne en se levant.

    En taille, elle dépassait un peu sa grand-mère. Sans doute attendait-elle cette rencontre avec une certaine impatience.
    Ses cheveux mi-longs lavés, un ruban noir afin de les empêcher de tomber dans ses yeux, une robe décente sur le dos, elle s’était mise en frais. L’effet se trouvait un peu gâché par des bas en laine troués.
    Mathieu craignait une protestation. L’aïeule se renfrogna plutôt. Les circonstances lui rognaient sans doute les crocs.
    La fillette se pencha pour chausser ses bottes.
    — Le mieux est de marcher un peu dehors, précisa-t-elle.
    Cela leur éviterait de murmurer dans l’espoir d’éviter les oreilles trop attentives. Le jeune homme décrocha un manteau du mur. Il se souvenait de

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