Mathilde - III
pittoresque mais dut faire preuve d’une grande fermeté
pour empêcher le capitaine Markov d’affronter à la manivelle le
fusil de chasse du « sale moujik français » tant certains
souvenirs semblaient l’obsédaient encore.
Après ce contretemps, elle tenta de lui expliquer que le paysan
français, même pauvre, était très soucieux de son bien et fort
susceptible. Mais elle constata rapidement que c’était peine perdue
car, de toute évidence, le capitaine Markov avait un contentieux
personnel envers les « moujiks » en général.
Elle finit par hausser les épaules et se replongea dans ses
pensées, songeant à la reprise de l’écriture de son manuscrit que
l’arrivée impromptue de son père avait interrompue.
Curieusement, son père, assis au côté du capitaine Markov, resta
taciturne durant tout le trajet, ne cessant de surveiller non sans
inquiétude la conduite du chauffeur. Quant à Miss Sarah, elle
s’était assoupie. Ce que finit par faire également Mme de La
Joyette en se disant que cet été allait peut-être, après tout, être
des plus agréables et qu’elle allait enfin pouvoir faire la
connaissance de son père.
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Cet été aurait pu effectivement être des plus agréables car il
ne s’annonçait pas caniculaire comme celui de 1921, mais les
événements familiaux en décidèrent autrement.
Dès leur arrivée, les jumelles se précipitèrent aux écuries et
éclatèrent en sanglots en découvrant que le poney qui leur avait
été promis ne s’y trouvait pas, sanglots qui redoublèrent lorsque
leur mère, exaspéré, les gifla en les traitant de « petites
sottes impatientes ».
Durant toute une semaine, Augustine et Augusta boudèrent jusqu’à
l’arrivée du poney en même temps que les trois juments que Mme de
La Joyette avait désiré faire l’acquisition et dont elle en avait
confié le soin à son beau-frère. Mais son père le baron Stern
trouva à redire sur la qualité des bêtes alors qu’elles lui
paraissaient à elle-même superbes.
– Vous n’y connaissez rien, mon enfant, lui dit-il devant le
père Antonin qui s’en occupait, la vexant profondément.
– Vous n’êtes pas obligé de les monter et, de toute façon, je ne
songeais nullement que ce pourrait être le cas lorsque j’ai demandé
à mon régisseur de les acquérir, lui rétorqua-t-elle sèchement. Je
les réservais à mon propre usage et à celui de mes amis.
Après la bouderie de ses filles, Mme de La Joyette eut droit à
celle de son père qui se montra, de plus, fort désagréable en
trouvant à redire sur tout, du mauvais état de la toiture à
l’entretien du parc qui laissait à désirer. Puis ce fut au tour de
la gouvernante de ses filles, Marinette Breton, qui se languissait
de son amoureux et passait ses journées à soupirer au point que,
lorsque, à la fin juillet, elle demanda à remonter à Paris pour
accompagner Miss Sarah qui devait y passer une semaine, Mme de La
Joyette, qui ignorait la cause de l’état de la jeune fille et s’en
inquiétait, accéda à sa demande avec soulagement, confiant les
fillettes, durant son absence, aux soins de Jeannette qui se mit à
bouder à son tour en raison du surcroît de travail qu’elle se
voyait imposer.
Fort heureusement, Mme de La Joyette put échapper à ces tracas
domestiques en renouant avec le fil de son écriture et les
aventures de ses deux héros et, une semaine plus tard, au retour de
Miss Sarah et de Marinette Breton de Paris, elle en était à la
moitié de ce ne nouveau conte. Mais Marinette revenait de son
séjour plus malheureuse qu’à son départ car son galant s’était
absenté de Paris sans l’en avertir et qu’elle s’y était rendue pour
rien.
– Qu’a-t-elle donc ? demanda Mathilde qui ne supportait pas
la présence de femmes « languissantes » dans son
entourage.
– Je l’ignore, répondit prudemment Miss Sarah.
– Pourtant, vous la fréquentez suffisamment pour qu’elle se
confie à vous.
– Certes, mais les jeunes filles de son âge ont leurs
secrets.
– La gouvernante de mes filles n’a pas à avoir de secrets pour
moi, fit Mme de La Joyette contrariée de n’en tirer plus de
l’Américaine qu’elle soupçonnait de connaître la raison de l’état
de la jeune fille. Je lui poserai moi-même la question dans ce cas,
ajouta-t-elle sèchement. Après tout ce que j’ai fait pour elle,
elle me doit une explication.
– Elle est
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