Mathilde - III
libre, fit Miss Sarah.
– Elle est sous ma responsabilité et l’on n’est libre que
lorsque l’on occupe une condition qui vous permet d’agir à votre
guise.
– Cela est fort juste, fit Miss Sarah en souriant
ironiquement.
– Je suis heureuse de vous voir d’accord avec moi sur ce point.
Cela est si rare.
– Mais ces secrets ne vous appartiennent pas pour autant.
– C’est ce que l’on va voir ! trancha Mme de La
Joyette.
– De quoi vous entretenez-vous ? intervint Éléonore qui
pénétra à ce moment dans le salon en tenant son fils par la
main.
– De problème domestique, dit à contrecœur Mme de La Joyette ne
souhaitant pas aborder ce sujet qui lui était personnel avec sa
belle-sœur.
– Puis-je vous être d’une quelconque utilité, ma chère ?
demanda gentiment celle-ci.
– Je ne crois… ou peut-être que si, après tout, se reprit
Mathilde. Le comportement de Marinette est étrange depuis son
arrivée ici et Sarah me dit qu’elle aurait des secrets de jeune
fille. Qu’en pensez-vous ?
– Elle sera sûrement amoureuse, fit Éléonore en souriant. C’est
de son âge.
– Ne dites pas de sottise ! s’exclama Mathilde. C’est une
jeune fille saine et j’ai tout fait pour qu’elle ne se mît pas en
tête de telles idées.
– Ma chère, je vous trouve bien possessive à son égard, la
taquina sa belle-sœur.
– Cela vous va bien de dire cela ! lâcha sèchement
Mathilde.
– Que voulez-vous dire ? demanda, interloquée, Éléonore en
caressant les cheveux de son fils.
– Ce que je dis !
– C’est-à-dire ?
– Que vous couvez cet enfant !
– Je ne suis qu’une mère attentionnée, répliqua Éléonore en
montant sur ses grands chevaux. Ce n’est certes pas le cas de
toutes les mères, mais je pense que ce devrait l’être.
– Que voulez-vous dire ?
– Ce que je dis, ma chère, répondit doucement Éléonore en
inclinant la tête.
– Insinuez-vous que je fusse une mauvaise mère ?
– Je n’insinue rien. Je dis tout simplement que j’élève mon fils
– qui n’est autre que votre neveu, même si vous semblez l’oublier –
tel que je le souhaite et que j’ai nullement besoin de vos conseils
en la chose.
– Si vous souhaitez couver votre fils et qu’il devienne une
poule mouillée, peu me chaut ! répondit altière Mathilde en
défiant sa belle-sœur du regard.
– Je vous prie de retirer ces propos inconvenants ! dit
Éléonore au bord des larmes.
– Il n’y a rien d’inconvenant dans la vérité, dit Mathilde
triomphante en souriant.
Les conséquences des propos aigres-doux échangés par les deux
belles-sœurs furent telles que Mme de La Joyette en oublia de
questionner la gouvernante de ses filles sur ses « petits
secrets » et ne s’aperçut pas de l’idylle naissante entre
Louison et le capitaine Markov.
Comme il se doit, le mari d’Éléonore prit le parti de son épouse
et Mme de La Joyette dut souffrir que son propre régisseur
osât
lui faire remontrance de ses propos tenus.
– Voilà où mènent les mésalliances ! se scandalisa-t-elle
auprès de son père qui ne pipa mot, se contentant d’opiner du
chef.
– Qu’en pensez-vous ? insista-t-elle.
– Mon enfant…, commença prudemment le baron.
– Cessez de m’appeler « mon enfant », cela
m’horripile. Je n’ai pas cinq ans ! Livrez-moi simplement le
fond de votre pensée, je vous prie.
– Le fond de ma pensée ? fit le baron d’un ton
dubitatif.
– Oui, je vous le demande.
– Je pense que vous devriez, Éléonore et vous-même, vous
présentez mutuellement des excuses.
– Des excuses ! se récria Mathilde avec un
haut-le-corps.
– Cela serait raisonnable, en effet. Du moins cela
permettrait-il de passer de bonnes vacances en famille.
– Mais je n’en ai que faire de vacances en famille, s’emporta
Mathilde. Je suis ici chez moi, sur mon domaine et je ne vois nulle
excuse à présenter !
– Vous m’avez demandé un conseil, dit le baron stoïquement, je
vous l’ai donné.
– J’attendais de vous que vous me livriez un conseil judicieux,
point un prêche. Mais, si c’est avec ce genre de conseils que vous
avez mené votre vie, je comprends qu’elle fût ce qu’elle est.
La fâcherie fut donc générale et Mme de La Joyette, dans son
courroux, en perdit le fil de son histoire qui resta pour l’heure
en suspens.
Fort heureusement, si l’on peut s’exprimer ainsi en l’occurrence
– mais l’effet en fut
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