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Mélancolie française

Mélancolie française

Titel: Mélancolie française Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric Zemmour
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franco-allemandes et fait de la bataille d’Iéna, en 1806, le pivot de l’histoire européenne des deux derniers siècles.
    Iéna fut l’heure de gloire du maréchal Davout, qui entra le premier à Berlin, et devint duc d’Auerstaedt. Dans la mémoire collective, on préfère Austerlitz, où le talent manœuvrier de Bonaparte se déploie à son zénith. Pourtant, Iéna fut un modèle de guerre éclair, même si le « génial calculateur » commit une légère erreur d’appréciation : le gros de l’armée prussienne n’était pas à Iéna face à lui, mais à Auerstaedt, où Davout l’affronta à un contre trois. Et vainquit. Pendant des jours et des jours, Napoléon poursuivit implacablement l’armée prussienne pour en détruire les restes. Le général prussien Blücher n’oublia jamais cette humiliation. Avec sa fureur excessive, il incarne le désir féroce des Prussiens de rétablir l’honneur perdu de Frédéric le Grand. Après Waterloo, où il avait sauvé Wellington de la défaite, il entendit châtier Paris et les Parisiens, avec d’autant plus de rage qu’il avait encore été bousculé à Ligny et, blessé, avait failli se faire prendre par les cuirassiers de Milhaud, ne devant son sauvetage qu’au manque de cavalerie française, et à la désinvolture criminelle de Grouchy.
    Il se souvint de tout cela quand, occupant Paris, il donna l’ordre de miner les ponts d’Iéna et d’Austerlitz, et l’Arc de Triomphe qui lui rappelait la porte de Brandebourg. Sa pyrotechnie se perdit dans un ridicule rideau de fumée au-dessus du pont d’Iéna. En dépit des mensonges élégants de Talleyrand, Louis XVIII n’a jamais menacé de se rendre comme victime expiatoire sur le pont d’Iéna. Wellington, puis les empereurs d’Autriche et de Russie ont arrêté la main d’un Blücher furieux : « Je suis le roi de Paris, ici personne d’autre n’a à commander ! On m’a librement donné le pouvoir ; j’ai tenu ma parole et conquis Paris. Si nous n’affamons pas les Français, nous les aurons à nouveau au bord du Rhin d’ici à un an ! »
    Pour René Girard, les Prussiens n’ont réglé leur compte avec leur défaite d’Iéna qu’en juin 1940.
    Alors, l’armée française fut détruite. Comme l’armée prussienne à Iéna. Hitler sauta de joie. Parada dans Paris à l’aube. Découpa la France en morceaux sur le plan que proposait le Prussien Hardenberg en 1815 ; à la manière brutale et expéditive avec laquelle Napoléon avait remodelé le territoire de la Prusse à sa guise. En 1815, Hardenberg voulait « exterminer l’exterminatrice ». Cent trente-cinq ans plus tard, le grand philosophe Bergson écrivait à son disciple le général en chef des armées françaises, Gamelin, dans une lettre du 3 février 1940 : « Quoiqu’il ait déclaré, depuis un certain nombre de mois, que l’Angleterre était pour lui l’ennemi n° 1, c’est la France qu’Hitler a toujours détestée et qu’il déteste encore le plus ; c’est d’elle qu’il poursuit, avant tout, l’anéantissement. »
    La Prusse est allée au bout de sa logique mimétique vis-à-vis de la France, jusqu’à l’hystérie hitlérienne.
    On pourrait en effet résumer l’histoire européenne du XIX e à cette lente, laborieusement méthodique, mais irrésistible aventure : comment l’Allemagne reprit le flambeau – des mains désormais débiles de la France vaincue à Waterloo – de l’unification du continent européen. Berlin finit elle aussi par aspirer à devenir la nouvelle Rome.
    Imitant la France admirée et haïe en tout et jusqu’au bout, la Prusse entreprit à son tour de résoudre la question d’Occident posée depuis le traité de Verdun (843). Ce n’est pas seulement la construction nationale française que l’Allemagne imite. L’État-nation, et même le nationalisme, tant vilipendé aujourd’hui, ne sont qu’un moyen, pas un but. « Au début était Napoléon », a écrit le grand historien allemand Thomas Nipperdey. Il n’a pas écrit : Au début était Louis XIV. Ou au début était Louvois, qui fit brûler le Palatinat, et la magnifique ville d’Heidelberg.
    L’Allemagne était pourtant une miraculée de l’histoire ; elle arrivait bien tard au banquet des nations. N’aurait jamais dû naître. Quand on le traitait de rêveur, le père du sionisme, Theodor Herzl, qui admirait Bismarck, répondait : « Savez-vous avec quoi s’est construit l’empire allemand ? Avec des rêves, des

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