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Mélancolie française

Mélancolie française

Titel: Mélancolie française Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric Zemmour
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français. Permis un siècle de paix. Et si c’était exactement le contraire ? Et si le traité de Vienne avait été à l’origine des deux guerres mondiales qui ensanglantèrent le XX e siècle ?
    La querelle sémantique du congrès de Vienne tourna autour des notions confuses d’« anciennes limites » et de « frontières naturelles ». Les « anciennes limites » étaient celles du royaume de France avant la Révolution ; les « frontières naturelles », les Alpes, les Pyrénées et la rive gauche du Rhin, conquises par… la Révolution, et que Napoléon, le jour de son sacre, avait juré de défendre. Quoi qu’ils en aient dit, les Alliés, et surtout l’Angleterre, avaient toujours combattu pour le retour aux « anciennes limites ».
    Ce distinguo sémantique engageait l’avenir de la France et de l’Europe. Avec ses « frontières naturelles », la France continuait de dominer le continent ; elle demeurait un géant à l’échelle des temps nouveaux qui s’annonçaient ; enfermée dans ses « anciennes limites », elle était condamnée aux souffrances sans fin de l’exiguïté, cherchant désespérément un protecteur, ne maîtrisant plus son destin.
    Le congrès de Vienne bien sûr choisit les « anciennes limites ». Les historiens ont raconté ces négociations cent fois : les Prussiens à qui les Anglais « offrent » la Rhénanie et la rive gauche du Rhin ; ils renâclent, craignant sans doute de se retrouver face à l’armée française, et préfèrent la Saxe ; mais le roi de Saxe est un cousin de Louis XVIII ; Talleyrand s’accroche et sauve son trône. Pendant tout le XIX e siècle, on le lui reprocha : c’est par la Rhénanie que les Prussiens nous attaqueront en 1870. Les découvertes de houille en Sarre aviveront encore la fureur française.
    Le grand historien d’avant guerre Louis Madelin exhibait comme preuve de la perfidie britannique et de la faiblesse coupable de Talleyrand cette lettre de Castlereagh à son ministre des Affaires étrangères Liverpool :
    « J e suis toujours porté à reprendre la politique que M. Pitt avait si fort à cœur et qui consiste à mettre la Prusse en contact avec les Français sur la rive gauche du Rhin. » Il refusait d’établir le roi de Saxe sur la rive gauche et de « donner ainsi un allié à la France ». Il préférait y mettre les Prussiens, éviter ainsi « tout renouveau du militarisme français » et « contrecarrer l’inévitable désir de la France de reprendre Anvers ».
    Le dernier biographe de Talleyrand, Emmanuel de Waresquiel, défend au contraire farouchement son sujet ; il note que Sadowa (1866) précède Sedan (1870) et non l’inverse ; alors, et alors seulement, la conquête de la Saxe, par la victoire de Sadowa, donna à la Prusse une cohérence stratégique qui la rendit d’autant plus redoutable pour la France. Talleyrand est donc innocent. Il a bien œuvré pour la paix.
    Intéressante querelle des historiens à distance : au XIX e siècle, jusqu’en 1945, qu’ils soient républicains ou monarchistes, progressistes ou réactionnaires, les historiens vilipendaient Talleyrand et sa conduite à Vienne. Ils lui reprochaient d’avoir vendu la rive gauche du Rhin et ruiné les espoirs de domination européenne de la France. Seul Thiers reconnaissait qu’entre la Saxe et la Rhénanie, Talleyrand avait eu le choix entre la peste et le choléra ; il n’était pas en position de force. Mais Thiers était aussi un homme politique ; jeune homme, il avait même été formé par un Talleyrand vieillissant qui se retrouvait dans ce jeune journaliste talentueux et ambitieux. Et tous les politiques, tous ceux qui lui succéderont au quai d’Orsay, admireront le « diable boiteux ». Les historiens d’aujourd’hui rejoignent les politiques et les diplomates. Au XIX e siècle, les historiens français avaient encore le souvenir de la gloire passée et la nostalgie de la puissance perdue. Nos contemporains ont inconsciemment accepté l’abaissement de la France ; leur valeur suprême n’est plus la puissance de notre pays, mais la paix et l’Europe. On dira qu’ils sont plus près de Caillaux que de Clemenceau, de Briand que de Poincaré ; et, pour remonter plus loin, plus près de Talleyrand que de Napoléon, de Louis XV que de Louis XIV, de Fénelon que de Bossuet. Fénelon peut nous bénir tranquillement, place Saint-Sulpice : il a fini par gagner sa partie contre le Roi-Soleil ; son élève, le duc de Bourgogne,

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