Mélancolie française
déjà songé à intervenir ; quelques années plus tôt, les ÉtatsUnis eux-mêmes avaient eu la même idée. Le dey d’Alger a bien mis son célèbre coup d’éventail à des envoyés français, mais sa colère légitime était liée à une sombre histoire de dette impayée où l’on retrouvait Talleyrand et des fournisseurs juifs de la Grande Armée. Charles X était le plus bête des trois frères (ses deux aînés étant Louis XVI et Louis XVIII) ; mais il avait quand même retenu la leçon de Chateaubriand : la gloire des armes, sur le modèle napoléonien, pouvait seule réconcilier la nation avec la vieille monarchie. Les historiens nous expliquent que ce « coup » n’a pas empêché Charles X de devoir abandonner son trône, effrayé par le retour de la Révolution qui avait guillotiné son frère. On peut aussi subodorer que Charles X est tombé non pas malgré, mais à cause de son heureux coup d’Alger. Les Anglais étaient furieux de revoir le bout du nez de la France dans cette Méditerranée, une des causes essentielles de l’affrontement avec Napoléon. De curieux espions de Sa Gracieuse Majesté rôdaient autour des conjurés orléanistes parmi lesquels brillait Talleyrand. Les ordonnances de Charles X datent du 26 juillet. Dans la nuit du 27 au 28, Paris se couvre de barricades. Or, le 27 juillet au soir, Talleyrand dîne avec Charles Stuart, l’ambassadeur d’Angleterre. Charles Stuart, un vieil ami du Diable boiteux, représente le roi d’Angleterre depuis la Restauration et, déjà à l’époque, avait tenté de mettre sur le trône le duc d’Orléans. Quinze ans plus tard, l’histoire repassait les plats, et l’occasion était donnée de se débarrasser de cette tête folle de Charles X qui avait beaucoup agacé l’Angleterre en renouant avec une audacieuse politique méditerranéenne. Un hasard sans doute.
Louis-Philippe et son mentor Talleyrand comprirent la leçon ; ils ne dérogèrent jamais d’une stricte soumission au maître anglais. Napoléon III fit de même. Au début de son règne. Il avait sans doute mieux compris que nos derniers rois, mieux que son oncle peut-être même, les règles géostratégiques nouvelles. Grand admirateur de l’Angleterre où il avait vécu, il fut notre premier chef d’État conscient des enjeux de cette « mondialisation ». Il prit donc la peine d’asseoir son imperium sur l’amitié de l’Angleterre, lui offrant un traité de libre-échange (1860) qui ravit la première puissance industrielle de l’époque.
Il crut alors possible, sous cette protection anglaise, de « rompre en visière avec la politique traditionnelle », comme le lui reproche de Gaulle. Il s’efforça en effet par tous les moyens de « grossir » pour retrouver la taille optimale dans le nouveau contexte géostratégique et technologique de son siècle.
Il récupéra Nice et la Savoie, lorgna sur le Luxembourg, la rive gauche du Rhin, la Belgique, entreprit à vaste échelle la colonisation de l’Algérie, édifia une « union latine » monétaire autour du franc ; et tenta de forger autour du Mexique une puissance catholique capable de contenir dans le Nouveau Monde la puissance étatsunienne, protestante et anglo-saxonne, alors affaiblie par la guerre de Sécession. Il songea même alors reconnaître diplomatiquement les confédérés du Sud, aimant sans doute tellement les ÉtatsUnis qu’il préférait qu’il y en eût deux, selon la bonne vieille méthode de Richelieu avec l’Allemagne. Il tenta au même moment de partager celle-ci en trois : Prusse, Autriche, et Bavière. En Italie, il s’efforça d’isoler le Piémont du reste de la botte, pour en faire notre allié privilégié.
Toutes ces stratégies échouèrent ; cela ne signifie pas qu’elles étaient stupides ou condamnées d’avance. Les Nordistes américains vainqueurs se vengèrent et ruinèrent le Mexique de Maximilien ; et Bismarck enrôla de gré et de force la Bavière dans son ensemble allemand.
Les Anglais finirent par siffler la fin de la partie. L’insistance napoléonienne à lorgner sur la rive gauche du Rhin et la Belgique s’avéra sans doute décisive. Tel oncle, tel neveu. Napoléon III se retrouva seul. Il n’avait pas adapté son armée à sa nouvelle stratégie ; avait conservé intact l’outil réduit hérité de la Restauration et des lois Gouvion-Saint-Cyr. Après Sadowa, Napoléon III vit le danger et réclama le retour de la conscription. Le Corps législatif
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