Mélancolie française
», la gauche conserverait l’objectif, mais utiliserait pour l’atteindre l’armée allemande. Dans les années 1930, ces philosémites convaincus, habitués des réunions de la LICA, tournèrent à l’antisémitisme véhément à partir du moment où les Juifs, persécutés par Hitler, leur semblèrent potentiellement des causes – et parfois des militants – de la guerre avec Hitler, alors qu’au cours des années 1920, parmi les élites juives, le plus souvent de gauche, l’amitié avec l’Allemagne weimarienne se portait à la boutonnière. On comprend mieux alors pourquoi les plus célèbres phrases de Pétain, « la terre, elle, ne ment pas », et « ces mensonges qui nous firent tant de mal », furent écrites par la plume alerte d’Emmanuel Berl, intellectuel juif de gauche.
Jean-Paul Sartre, dans « Qu’est-ce qu’un collaborateur ? », avait déjà tout révélé : « Si par exemple le pacifisme français a fourni tant de recrues à la collaboration c’est que les pacifistes, incapables d’enrayer la guerre, avaient tout à coup décidé de voir dans l’armée allemande la force qui réaliserait la paix. Leur méthode avait été jusque-là la propagande et l’éducation. Elle s’était révélée inefficace. Alors ils se sont persuadés qu’ils changeaient seulement de moyens : ils se sont placés dans l’avenir pour juger de l’actualité et ils ont vu la victoire nazie apporter au monde une paix allemande comparable à la fameuse paix romaine. […] Ainsi est né un des paradoxes les plus curieux de ce temps : l’alliance des pacifistes les plus ardents avec les soldats d’une société guerrière. »
Edgar Morin, vingt-cinq ans après la fin de la guerre, confirme l’analyse dans son Autocritique : « Une logique naturelle poussait les socialistes pacifistes à la collaboration ; puisqu’ils excluaient toute guerre de libération, ils ne pouvaient que s’adapter au fait accompli […]. Au départ, chez eux, il y a l’horreur de la guerre, la volonté de s’insérer dans le réel, d’y frayer aux moindres frais les voies d’évolution du socialisme. Mais insensiblement ceux qui ne surent se reprendre furent entraînés vers le national-socialisme. Le chas qui ne laissait passer que le premier fil de la collaboration se distendit jusqu’à ce que s’y engouffrent stukas et panzers. Les ennemis de la guerre devinrent les apologétistes de la conquête nazie. Les internationalistes devinrent antisémites. Ce ne sont pas les grands coups du destin qui dégradent les hommes, mais l’insensible et lente dérive. »
Ces républicains, radicaux, socialistes, communistes, antiracistes, progressistes de toutes obédiences retrouvèrent ainsi sans le vouloir les chemins, déjà empruntés par certains sous la monarchie, la Révolution, et l’Empire, du pacifisme au défaitisme, jusqu’à la trahison.
Après la Seconde Guerre mondiale, les socialistes raccrochèrent leur wagon au nouveau train européo-atlantiste de Monnet, tandis que les communistes, aidés par de Gaulle, firent accroire que leur patriotisme français avait toujours été celui éclatant d’après l’invasion de l’URSS par les troupes allemandes en juin 1941. En vérité, les communistes furent les derniers, à gauche, qui prolongèrent, jusqu’en 1989, la sempiternelle mystique impériale de l’union du continent et de la « paix romaine », mais ils avaient déplacé Rome jusqu’à Moscou.
En 1968, les notables repentis, anciens thuriféraires de l’Europe allemande blanchis sous le harnais étoilé de l’Europe otanienne, tout autant que les communistes revendiquant leurs « 100 000 fusillés », furent tournés sur leur gauche internationaliste par une nouvelle génération cosmopolite. Celle-ci mariait mépris du peuple français, haine d’une France collaborationniste, colonisatrice, raciste, et la quête parmi les immigrés arabo-africains d’un nouveau peuple mythique révolutionnaire, retrouvant sans le savoir les intuitions d’un Mangin qui rêvait de sa « force noire » comme les successeurs des héros de Valmy.
Depuis quelques années, la montée en puissance démographique de l’islam en France renouvelle les termes de l’affrontement des deux gauches entre ceux qui, craignant davantage les ravages liberticides de l’islam, se mettent sous la protection de l’Amérique au nom de l’alliance des démocraties – comme Lamartine se mit sous celle de l’Angleterre – et ceux
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