Mélancolie française
une centaine d’officiers français furent malgré tout envoyés dans les commandements suprêmes, à Mons, en Belgique, à Norfolk, aux États-Unis. Peu à peu, l’armée française a cessé d’être une armée nationale pour devenir une armée otanienne. Beaucoup d’officiers ne s’expriment plus qu’en anglais, comme ces cadres de multinationales américaines.
C’est sous les auspices du droit international, de l’ingérence humanitaire, enfin de la lutte contre le terrorisme, que la France fut ramenée sous le « protectorat américain ». La carrière d’un Bernard Kouchner, ministre des Affaires étrangères du président Sarkozy, illustre et résume jusqu’à la caricature cette réédition française. Une caméra de télévision a éclairé le moindre de ses pas, un sac de riz à l’épaule, qui le conduisirent en quarante ans de l’internationalisme communiste soviétique jusqu’au néoconservatisme américain, en passant par le droit d’ingérence humanitaire. Le jeune homme qui se présentait à l’ambassade de Cuba pour défendre le régime de Fidel Castro attaqué dans la baie des Cochons en 1961 se révéla quelques années plus tard agent malgré lui des services secrets français, lorsque Foccart utilisa son dévouement et son énergie au service des intérêts pétroliers français, pour détacher le Biafra de sa tutelle nigériane sous domination anglaise. Alors, le père Joseph gaulliste tirait encore les ficelles de ce saint Vincent de Paul médiatique, dans le cadre plus global de la grande alliance entre gaullistes et communistes contre les Anglo-Américains. Et puis le French doctor s’émancipa, et finit – sans trop oser le clamer par prudence – par approuver l’expédition américaine en Irak de 2003. Le fil rouge d’une semblable carrière est bien l’internationalisme et la quête d’un empire dominant, quête fondée sur la conviction profondément ancrée de l’inéluctable déclassement français.
Les communistes y répondirent naguère par l’empire soviétique, et les atlantistes, par l’OTAN. Aujourd’hui encore, les élites françaises se sentent parties intégrantes d’un Occident sous domination du grand frère américain. Elles ont été rejointes par nombre d’anciens communistes comme Kouchner, qui, abandonnant les rives staliniennes, mais conservant la foi internationaliste, la nommant droit d’ingérence, humanitarisme, droits de l’homme, achèvent leur périple idéologique sous la protection débonnaire ou impérieuse – selon les moments et les présidents – de l’Oncle Sam.
C’est toujours la même histoire recommencée depuis deux siècles. Les maîtres changent, Anglais, Allemands, Soviétiques, Américains, le choix impérial reste. Quel que soit le maître choisi, tous ses servants français tirent les mêmes conclusions de la défaite française de Waterloo, de son incapacité à dominer et unifier l’Europe continentale.
La religion des droits de l’homme joue ainsi le rôle qu’avait tenu longtemps le catholicisme pour vaincre notre esprit insoumis.
L’OTAN transformée en bras armé de la « famille occidentale » dans le monde nous conduit inéluctablement à l’endroit précis où de Gaulle refusait de se rendre.
Le général de Gaulle avait en effet décidé de sortir la France des organismes militaires intégrés de l’OTAN en 1966 – mais non de quitter l’Alliance – pour ne pas être contraint de suivre les Américains dans des aventures extérieures au front européen. Il visait alors le bourbier vietnamien. Il voulait aussi expulser les troupes américaines du sol français pour en finir avec ce qu’il considérait en dépit de tout comme une « occupation ». Il tenait enfin à préserver l’autonomie de sa toute neuve force de frappe nucléaire si chèrement acquise. « La volonté qu’a la France de disposer d’elle-même, volonté sans laquelle elle cesserait bientôt de croire en son propre rôle et de pouvoir être utile aux autres, est incompatible avec une organisation de défense où elle se trouve subordonnée », expliqua-t-il lors de sa fameuse conférence de presse du 21 février 1966. À un autre moment, il évoqua carrément « le protectorat américain organisé en Europe sous couvert de l’OTAN ».
Dès 1958, n’avait-il pas écrit dans son mémorandum adressé aux Américains et aux Anglais : « L’OTAN ne correspond plus aux nécessités de notre défense » ? Il se contentait
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