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Mélancolie française

Mélancolie française

Titel: Mélancolie française Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Eric Zemmour
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triangle continental Paris-Berlin-Moscou, esquissé en 1895 lors des fameuses manœuvres de la Baltique. Mais, à un siècle d’écart, ce rêve continental ne vécut guère plus longtemps, miné par la faiblesse française, l’atlantisme de la droite allemande, les ambiguïtés russes.

Chapitre 7
Le Commissaire
    L’Europe, l’Europe, l’Europe. À la fois seul salut de la France et fin de son histoire. À la fois graal et impasse de la France. Unique stratégie et sublimation de notre histoire : c’est ainsi que l’Europe est racontée aux enfants aujourd’hui. Depuis le « virage » décidé par François Mitterrand en 1983, la gauche comme la droite sacrifient leurs convictions, acceptent toutes les apostasies, au nom de l’Europe, la droite gaulliste son patriotisme sourcilleux, la gauche sa phobie du marché et du libre-échange. Gauche et droite refusent même tout débat à ce sujet. L’Europe relève du sacré. Même les antieuropéens, de droite ou de gauche, réclament « une autre Europe ».
    Seul le « peuple » renâcle, comme on l’a vu lors des deux référendums organisés sur l’Europe : victoire de justesse du « oui » en 1992 sur le traité de Maastricht ; défaite nette en 2005, sur la Constitution européenne.
    Les élites françaises n’en ont cure. Elles retrouvent ainsi l’arrogance des comportements d’aristocrates à la veille de la Révolution, qui se sentaient d’une autre engeance, et des réflexes d’administrateurs impériaux ; toutes traces de francité qu’ils repousseraient avec hauteur et renieraient avec éclat. Les élites françaises sont convaincues qu’elles réussiront pour l’Europe ce que leurs ancêtres royaux, impériaux et républicains ont obtenu pour la France. Elles convertiront le peuple français à l’Europe, comme leurs prédécesseurs ont façonné la nation française à partir de Bretons, Auvergnats, Limousins qui conversaient en patois encore à la fin du XIX e siècle.
    Ces élites françaises si véhémentement européistes s’avèrent les héritières des conseillers d’État de trente ans qui, sous la tutelle fictive des monarques de la famille Bonaparte, administrèrent l’Europe napoléonienne. Pour eux, comme pour leur empereur, point de différence entre Paris et Rome, Lyon et Hambourg, Marseille et Naples, Lille et Anvers, Strasbourg et Cologne. À l’abri même troué du Blocus continental, ils développèrent l’industrie locale, construisirent des routes, asséchèrent des marais.
    Deux siècles plus tard, on s’étonne que les plus brillants des hauts fonctionnaires français se bousculent à la tête des organismes internationaux : FMI, OMC, OIT, Unesco, Banque mondiale, sans oublier les institutions européennes où les technocrates français ne laissèrent longtemps que des miettes à leurs collègues étrangers. On pourrait en sourire. L’administration est aux Français ce que la machine-outil est aux Allemands : une spécialité séculaire. Déjà, au XIX e , pour moderniser leur État, les empires déliquescents, russe et ottoman, firent appel à des hauts fonctionnaires français, quand ils préféraient des experts allemands pour leurs armées. Dans les années 1960 encore, sous la férule gaulliste, les « technocrates » aménageaient la France à la manière arrogante mais efficace de gouverneurs coloniaux. En créant l’ENA, Michel Debré avait voulu refonder les bases du colberto-jacobinisme porté à la perfection par Napoléon.
    Depuis les années 1980, marquées par le retrait de l’État et l’élargissement de l’Europe, les hauts fonctionnaires français estimèrent la France trop petite pour eux. L’Europe devint leur terrain de jeu favori. Ils y défendaient l'« intérêt général européen », y compris contre les intérêts français. C’est ce qu’ils appelaient avec emphase « une idée française de l’Europe ». « Dans une organisation internationale, il faut toujours mettre un Français à la tête, car les Français sont les seuls à ne jamais défendre les intérêts de leur pays », les brocardait ainsi, paraît-il, Sir Christopher Soames, ancien vice-président britannique de la Commission européenne (mot cité par Philippe de Saint Robert dans son magnifique ouvrage, Le Secret des jours). Ils avaient seulement troqué pour l’occasion la méthode centralisée colbertiste et bonapartiste pour celle du Zollverein allemand qui, à partir d’une union douanière, bâtit un

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