Mélancolie française

Bruxellois – chez qui la langue française règne en maître – choisissent comme la Wallonie de devenir français, que feront les Anglais, les Allemands, les Américains ? Les puissances occidentales pourront-elles refuser ce qu’elles ont accepté pour la réunification de l’Allemagne ? Accepteront-elles encore une situation bâtarde, statut international par exemple, qui serait une nouvelle défaite pour la France ? La guerre, de nouveau pour la Belgique ? L’histoire encore recommencée ? Sarkozy cédera-t-il au nom de l’Europe et restera-t-il dans l’histoire comme le successeur de Louis XV ? En visite au Canada, il a scandalisé les Québécois en manifestant le même mépris que son lointain devancier pour « les arpents de neige ». Ses convictions européennes, ses dilections atlantistes lui dicteront-elles sa conduite ?
    Pour l’instant, le président de la République se dissimule derrière la langue de bois diplomatique : « C’est une affaire sérieuse, déclarait-il, lors du Conseil européen du 14 décembre 2007. La position de la France est que la Belgique, un grand pays voisin et ami, surmonte ses difficultés. Nous ne voulons en aucun cas interférer. La France ne se réjouit jamais des difficultés de ses amis. » À l’Élysée, une cellule spéciale suit les affaires belges.
    Dans les affaires Thomson, Sanofi, Areva, Sarkozy a pourtant montré qu’il n’était pas totalement dépourvu de réflexes patriotiques ; mais davantage contre les Allemands que contre les Anglo-Saxons. Lors de la grande crise financière d’octobre 2008, la grande banque hollando-belge Fortis fut abandonnée sans un regard par les autorités bancaires hollandaises, qui laissèrent aux Belges toutes les « actions pourries ». Les militants flamands, qui ont longtemps compté sur le soutien des Pays-Bas, durent avaler une seconde couleuvre – un boa – avec le rachat de cette banque par la BNP. Le journal Le Soir expliquait non sans humour que la France prenait un contrôle décisif « des derniers bijoux de famille belges », et un journal flamand, De Standaard , publiait en une un dessin satirique montrant un banquier gisant au sol, un drapeau tricolore planté dans le ventre.
    Le démembrement financier de l’État belge précède sa faillite politique. Les élites belges, en dépit de leur francophobie congénitale, ne peuvent s’empêcher de se retourner vers Paris en cas de danger mortel.
    « Maintenant doit grandir ensemble ce qui est fait pour vivre ensemble », avait déclaré le chancelier Willy Brandt après la chute du mur de Berlin. La Belgique est la « réunification » française, Bruxelles comprise. Les noms des départements de l’époque révolutionnaire et impériale pourraient ressortir du placard de l’histoire, où ils gisaient, pleins de gloire et de formol : Jemmapes, Sambre-et-Meuse, Ourthes, Forêts…
    Avec 68 millions d’habitants, la France grignoterait encore son retard sur l’Allemagne et ses 80 millions. Les aiguilles de l’histoire poursuivent implacablement leur marche en arrière.

Chapitre 9
La chute de Rome
    Ces chiffres ont hanté nos ancêtres. En 1870, il y avait encore autant de Français que d’Allemands. Cette égalité était un trompe-l’œil, la séculaire domination démographique de la « grande nation » sur l’Allemagne et l’Europe s’achevait. Les courbes s’inversaient durablement. En 1890, les 38 millions de Français pesaient déjà peu face aux 50 millions d’Allemands. En 1914, on se battait à 40 contre 60.
    Curieusement, le film semble aujourd’hui se dérouler à l’envers. Nous sommes quelque part entre 1900 et 1815. La France rattrape peu à peu son retard démographique sur l’Allemagne. En 2008, la population allemande a baissé de 168 000 habitants. À ce rythme, l’Allemagne ne comptera plus que 68 millions d’habitants (contre 82 aujourd’hui) en 2050. À la même époque, c’est la France qui coiffera les 80 millions. La symétrie est parfaite. La France avait connu un surcroît de cercueils sur les berceaux au début du XX e siècle. Elle redevient aujourd’hui la première puissance démographique de l’Europe. La population française a déjà atteint les 65 millions d’habitants qui lui étaient promis par les experts pour 2015. En 2008, il y eut 843 000 naissances sur notre territoire. En cette même année, l’ensemble de l’Union européenne avait enregistré un excédent naturel de 448 000 naissances. Sur