Mélancolie française
ce total, 290 000 nouveaux Européens étaient français. Notre pays représente donc à lui seul 65 % de la croissance naturelle de la population européenne.
« La Chine de l’Europe » est de retour ; mais le contexte mondial a radicalement changé. La France est un borgne démographique au pays des aveugles européens. Dans un monde de géants à un milliard d’habitants, où seule la barre des cent millions d’habitants donne son ticket d’entrée dans le club des dix pays les plus peuplés du monde, les rivalités européennes paraissent lilliputiennes. Le dynamisme français n’empêchera pas le vieillissement continu de sa population. Nous ne sommes plus en guerre avec l’Allemagne et notre armée ne repose plus sur la conscription.
Et pourtant. Karl Marx écrivit un jour dans une lettre à Moses Hess : « À partir d’un certain nombre, la quantité est une nouvelle qualité. » Les économistes contemporains confirment cette intuition marxiste en liant dynamismes démographique et économique. L’institut d’économie de Cologne estime que l’économie française devrait croître deux fois plus vite que sa concurrente allemande entre 2025 et 2035, lorsque les courbes démographiques se croiseront. Alors, la France serait, disent les mêmes experts, la première économie de la zone euro.
La prééminence démographique française en Europe serait bien sûr décuplée si les logiques autonomistes en cours, Flandre, Catalogne, Ecosse, Italie du Nord, etc., finissaient par faire exploser les vieux États-nations du continent.
Depuis la réunification allemande, l’ancienne RFA est l’incontestable « patron » de l’Europe. Les Américains l’ont de suite entériné lors du fameux discours de George Bush senior qui, grand admirateur de la Prusse, proposa au début des années 1990 un loyal « leadership in partnership » aux Allemands. Si l’autorité du patron est contestée par le vieux rival français, revenu des oubliettes de l’histoire, que se passera-t-il ?
Les spécialistes de l’INED expliquent cette exception française au sein d’une Europe en pleine ruine démographique par des raisons culturelles : les femmes françaises font plus d’enfants parce qu’elles peuvent travailler, mettre leurs enfants à la crèche ; elles les confient fort jeunes à des nounous, contrairement aux Allemandes encore inhibées par l’image de la « mauvaise mère » ; les enfants français naissent pour près de la moitié en dehors du cadre du mariage, ce qui reste mal vu en Europe du Sud. Explication progressiste, féministe, « de gauche ».
Le Français de la rue pense crûment que les immigrés font la différence. Les démographes se récrient, accumulent les chiffres qui ridiculisent cette thèse : « La fécondité des étrangères est plus élevée que celle des Françaises (3,3 enfants contre 1,8 en 2004) »… mais, « dans la mesure où les étrangères restent minoritaires parmi les femmes en âge d’avoir des enfants (7 %), cela ne fait qu’accroître de seulement 0,1 enfant le taux de fécondité de la métropole » ( Le Figaro du 21 août 2008). Les plus subtils mettent en garde contre l’impression fausse que donne l’Île-de-France qui, avec les grandes villes françaises, accueille l’essentiel de la population immigrée.
Ce conflit rappelle un peu celui qui opposa l’INSEE et les ménagères au sujet de l’inflation, après la naissance de l’euro en 2002. Même fureur d’un côté, même mépris de l’autre ; même dialogue de sourds entre l’« observation » et les « chiffres », l’« expérience » et le « savoir ». Les statisticiens de l’INSEE ont fini par reconnaître que leurs calculs ne prenaient pas bien en compte l’inflation particulière des produits alimentaires et des matières premières dans le « panier de la ménagère », parce qu’ils la compensaient « artificiellement » par la baisse des prix des produits de haute technologie (écrans plats, ordinateurs, etc.).
Les Français observent la rue, le métro, les salles de classe, surtout dans les quartiers populaires, et constatent l’évidence, ce que Tahar Ben Jelloun appelle joliment « la recomposition du paysage humain ». Et que d’autres, plus amers, qualifient de « grand remplacement ». Les experts protestent encore : « Ce sont des Français. » Argument imparable, mais qui prouve qu’un biais idéologique, certes moral et légitime – ne pas remettre en question la
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