Même les oiseaux se sont tus
comprendre à Élisabeth qu’elle et Jan prendraient la grande chambre, et Élisabeth, presque gênée de penser qu’elle habiterait sous le même toit que les nouveaux mariés, n’avait absolument pas été offusquée. Michelle avait maintenant une clef à elle et elle venait tous les jours voir à la pose des tentures dans la chambre, au vernissage du mobilier fané que les Favreau leur avaient offert, à l’installation d’un nouveau couvre-lit et à l’ajout de vaisselle dans les armoires de la cuisine. Elle avait pris congé de son travail, avec la bénédiction de son père qui n’était que trop content qu’elle ne soit pas avec lui. Il ne pouvait tolérer de la voir aussi nerveuse.
Le mois de juin approchait à grands pas quand Michelle, complètement catastrophée, entra, un soir, les bras chargés de cartons.
– J’ai besoin de vous.
Elle avait interrompu la leçon de Florence, qui tiquait toujours quand on estropiait son heure de violon. Élisabeth lui fit signe d’être patiente quelques minutes.
– Quand j’arrête comme ça, en plein jeu, j’ai l’impression que mes doigts deviennent raides trois fois plus vite. Ils n’aiment pas ça.
– Tes doigts?
– Oui, mes doigts. Je suis certaine que s’ils pouvaient parler, ils te le diraient tout seuls.
Elle alla s’enfermer dans la petite chambre et fit des gammes pour ne pas perdre sa souplesse. Élisabeth fit comprendre à Michelle qu’elle ne devait pas s’inquiéter des humeurs de Florence.
– Florence, c’est déjà une vraie artiste. Elle fait ses scènes. Moi, je la vois comme mon oiseau de paradis. Magnifique quoiqu’un petit peu piquante quand elle a l’impression de se faire enlever quelque chose.
– Justement. On dirait que c’est à la mode du jour. Mon père vient de décider que Jan et moi ça ne pouvait pas marcher parce que vos parents étaient trop instruits. Il m’a dit que vous veniez d’une classe sociale beaucoup trop haute pour moi.
Élisabeth regarda Jan qui avait délesté Michelle de ses cartons.
– Qu’est-ce que tu en penses, Jan?
– Pas grand-chose.
Michelle commença une étonnante diatribe contre son père.
– Jaloux! C’est ça, son problème: il est jaloux!
– Il faut peut-être comprendre un peu, Michelle. Tu es sa seule fille.
– Quand même! J’ai vingt et un ans!
– Et je ne suis pas certain qu’il ait l’impression de gagner un fils.
Jan avait parlé avec amertume. M. Dupuis était presque aussi difficile à conquérir que les Carpates.
– Mais il y a pire.
– Pire?
– Mes parents se demandent s’ils ne devraient pas tout annuler à cause de ça.
Jan s’assit lourdement à table tandis qu’Élisabeth cessa d’écouter Florence qui s’amusait maintenant à jouer ses gammes sur plusieurs rythmes. Michelle leur dit avec beaucoup de finesse que, pendant des mois, ils n’avaient pas été à l’aise avec le fait qu’elle avait choisi un livreur d’épicerie.
– Mon frère n’est pas livreur d’épicerie.
– Mais oui, Élisabeth, je suis aussi livreur.
Jan, au fait de ces restrictions, se contenta de sourire. Il savait exactement où il serait dans dix ans et même dans vingt ans. On frappa à la porte et M. Favreau entra, l’air inquiet.
– J’ai vu arriver Michelle avec un drôle d’air. Est-ce qu’il y a un problème?
Michelle lui résuma la situation et M. Favreau en fut profondément mortifié. Il connaissait M. Dupuis depuis des années et savait que celui-ci n’avait aucune raison de les regarder de haut, fussent-ils épiciers. Il se versa un verre de vodka et s’assit à table en face de Jan.
– Tu leur as dit, j’espère, que tu étais mon héritier.
– Mais non, ça ne les regarde pas. Pas pour l’instant, du moins, et ça n’a rien à voir avec le fait que j’aime «leur fille».
M. Favreau regarda Michelle et lui sourit.
– Quand même étonnant que tes parents aient fait une fille aussi parfaite que toi!
Michelle ne sut si elle devait accepter le compliment ou réagir au léger mépris dont M. Favreau venait d’asperger ses parents. Voyant que Jan n’avait pas l’air offensé, elle opta pour le sourire avant de le casser en repensant au véritable objet de sa visite.
– Mais on est loin du pire, M. Favreau. Je leur disais que mes parents avaient presque envie de tout annuler.
– Pourquoi?
M. Favreau semblait sidéré.
– Depuis qu’ils ont entendu jouer Élisabeth, qu’ils savent que M. et M me Pawulscy
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