Même les oiseaux se sont tus
Élisabeth essuya une larme indiscrète qui lui titillait l’œil. Michelle ouvrit la seconde enveloppe et en sortit une lettre de deux pages qu’elle lut et relut.
– C’est vrai? Mais pourquoi?
– C’est vrai.
Jan leur apprit donc à tous que, le jour où il recevrait sa citoyenneté canadienne, ce qui ne devait tarder, il deviendrait officiellement Jean Aucoin.
– Aïe!
Élisabeth, sous l’effet du choc, avait serré l’épaule de Florence qui gémissait. Michelle, elle, regardait Jan, incertaine d’avoir très bien compris ce qu’il lui révélait.
– Tu veux dire que nos enfants vont s’appeler Aucoin et pas Pawulski?
– Ce sera plus facile pour tout le monde. Pour toi et ta famille, et pour moi. M. Favreau aussi a compris ça.
Le silence qui avait envahi la pièce était si dense que les sanglots étouffés d’Élisabeth n’en furent que plus douloureux à entendre. Elle alla s’isoler dans sa chambre sous le regard attristé de Jan et de Michelle. M. Favreau prit la main de sa femme, comme pour lui rappeler qu’il ne regrettait rien. Quant à Florence, elle chuchota à l’oreille de sa grand-mère que son violon avait un peu de peine et qu’il voulait aller dormir.
60
Jerzy, le bras autour de la taille d’Anna, regarda les champs avec fierté. Depuis qu’il avait acheté un lopin de terre supplémentaire, ils avaient plus de travail, certes, mais Jerzy savait qu’à l’automne ils auraient cette salle de bains dont ils rêvaient. Anna s’abandonna la tête sur son épaule et Jerzy frémit discrètement en sentant son parfum à essence de terre et d’ozone. Stanislas dormait paisiblement et Jerzy et Anna marchèrent en direction de la rivière pour y observer le coucher du soleil, qui s’annonçait bleuté et lilas. Un ciel chaud couvert de teintes froides. Anna s’assit et regarda l’heure. Jerzy devina ses pensées.
– Je ne pense pas que les noces soient terminées, Anna.
Anna lui sourit tristement. Son mari la connaissait assez bien pour savoir à quel point la décision de ne pas aller à Montréal l’avait à la fois irritée et déçue.
– Je me demandais à quoi ressemblait Michelle dans sa robe de mariée.
– Élisabeth a écrit que Michelle était jolie et candide. Elle doit être encore plus jolie aujourd’hui.
– J’espère qu’Élisabeth va penser à nous poster des photographies.
– J’en suis certain.
Anna se tut, ne voulant pas gâcher la beauté du coucher de soleil et l’humeur romantique de Jerzy.
Dès qu’ils avaient reçu l’invitation, Anna avait compris que Jerzy ne se déplacerait pas. Il avait retourné à Élisabeth l’argent qu’elle leur avait expédié pour être certaine qu’ils prendraient le train. Elle lui avait même écrit qu’il était important qu’il soit avec son frère au pied de l’autel, lui rappelant la joie que lui-même avait ressentie en les apercevant dans le jubé le jour de son mariage. «
Nous pourrions peut-être décréter que nos mariages seront toujours l’occasion d’agréables retrouvailles. Je pleure encore de joie à ce merveilleux souvenir. Ne me fais pas pleurer de chagrin le jour du mariage de Jan
.»
Jerzy avait dit à Anna que Jan n’était presque plus son frère, puisqu’il n’était plus un Pawulski et que M. Favreau lui servirait de père. Anna n’avait pas répondu, comprenant trop bien à quel point la décision de Jan de changer de nom lui avait fait mal.
– Il a coupé une branche de notre arbre, Anna. Tu te rends compte? Ses enfants vont être des Aucoin. Avec leur accent polonais, ça va être ridicule.
– Ses enfants n’auront pas d’accent polonais, Jerzy.
Jerzy s’était tu. Il n’avait même pas réfléchi à cette question en parlant polonais avec Stanislas. Il n’avait même pas pensé que Stanislas pouvait en être affecté un jour. Stanislas était un Polonais né d’une mère et d’un père polonais et il était normal que le polonais soit sa langue. Anna connaissait la pensée de Jerzy à ce sujet, aussi n’avait-elle jamais parlé anglais à son fils quand il était là. Jerzy comprendrait bien assez tôt que son fils parlait aussi la langue de sa mère. Jerzyavait pourtant pris l’habitude, depuis le départ de Jan et d’Élisabeth, de parler français le plus souvent possible et de n’écouter que CKSB pour que cette langue soit également familière à Stanislas.
Anna sentit la main de Jerzy lui serrer la taille pour l’approcher
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