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Même pas juif

Même pas juif

Titel: Même pas juif Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jerry Spinelli
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avait pas de musique, pas
    de mouvement. Tout en me frayant un chemin à travers les
    gens, j’ai entendu quelqu’un crier :
    — C’est le coup d’un juif, ça !
    Je me suis demandé quel coup un juif pouvait bien avoir
    commis. Puis j’ai vu. Je n’en ai pas cru mes yeux. L’un des
    chevaux s’était envolé ! Ne restaient plus que trois sabots. J’en
    étais arrivé à considérer ces animaux comme si réels que, un
    instant, j’ai été surpris de voir des éclats de bois blond au lieu de
    sang, là où l’on avait scié les jambes. Une ultime trace de
    couleur m’a appris que la bête avait été noire. C’était le mien.
    Mon beau cheval noir et or.
    — Faut trouver ce juif ! se sont mis à crier les gens. Les yeux
    fixés sur les trois sabots privés de cheval, j’ai senti la colère
    monter en moi. « Mort au sale juif ! » scandaient les voix
    inlassablement, et je crois bien que l’une d’elles était la mienne.
    Au bout du parc, deux Bottes Noires discutaient en fumant
    des cigarettes.

    Ils ont trouvé le juif. Ou plutôt, un juif. Les juifs étaient
    interchangeables. Ils se valaient tous. J’aurais de nombreuses
    occasions de le constater. Bref, avant la fin de la matinée, un juif
    a trébuché dans la neige, une corde au cou. On l’a conduit dans
    une clairière entourée de souches d’arbres. Quelqu’un a noué
    une deuxième corde à son cou. Quelqu’un d’autre lui a arraché
    ses vêtements. C’est à cet instant que j’ai remarqué le froid
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    intense.
    L’homme a paru rapetisser, a semblé se ratatiner à
    l’intérieur de lui-même jusqu’à ne plus être que des yeux
    exorbités. La neige lui arrivait aux chevilles.
    — Place ! Place ! a grondé quelqu’un.
    Deux Bottes Noires ont tiré un gros tuyau au milieu de la
    foule. Ils se sont arrêtés à dix mètres de l’homme réduit à ses
    yeux et ont pointé le tuyau sur lui. De l’eau a jailli. Le tuyau a
    échappé aux mains des Bottes Noires et fouetté l’air
    sauvagement, comme un ver coupé. Les gens se sont sauvés en
    hurlant. Les Bottes Noires ont sauté sur la tête du tuyau, ont
    maîtrisé ce dernier. Puis ils l’ont serré contre eux et de nouveau
    dirigé sur l’homme. Quand l’eau l’a frappé, il a été renversé. Les
    deux cordes autour de son cou l’ont brutalement arrêté. Les
    Bottes Noires ont reculé un peu.
    Les choses étant plus calmes, les badauds sont revenus.
    Certains poussaient des hourras, riaient, applaudissaient.
    Certains regardaient à peine. Je n’aurais pas cru ça possible,
    mais les yeux du juif ont grossi un peu plus. Je voyais bien qu’il
    essayait de rétrécir encore, de disparaître totalement. Il n’a pas
    émis un son. Quand je me suis éloigné, il virait au bleu.

    Je ne suis pas retourné au manège avant que la neige ait
    fondu et l’herbe recommencé à verdir autour des souches. Je me
    suis demandé si l’homme avait fondu, comme la neige. Les trois
    sabots avaient été ôtés de la plate-forme. La seule réminiscence
    de ce qui s’était passé était l’espace vide qu’avait occupé le beau
    cheval noir. À part ça, rien n’avait changé : la musique
    entraînante, les dames qui riaient, les enfants qui tournaient,
    encore et encore…

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15

AUTOMNE

    Les gens s’en allaient. Jamais encore je n’avais vu autant de
    personnes marcher d’un même pas. Debout au coin d’une rue,
    nous les avons regardés.
    C’étaient des juifs. À cause de leur brassard. Tout juif devait
    en porter un, blanc avec une étoile bleue. Ça aidait drôlement à
    dire qui était juif et qui ne l’était pas, maintenant qu’ils
    n’avaient plus de barbe. Jusqu’alors, j’avais remarqué un juif
    par-ci, un juif par-là. Je ne m’étais pas douté qu’ils étaient aussi
    nombreux.
    Ils arrivaient de partout, d’une multitude de rues, mais
    allaient tous dans la même direction. Les petits enfants tiraient
    des chariots chargés de jouets, de casseroles et de livres. Les
    adultes tractaient des carrioles branlantes chargées de meubles,
    de vêtements, de tableaux et de tapis. À croire qu’ils avaient
    empilé leur maison dans ces chariots, ces carrioles et les sacs
    rebondis hissés sur leurs épaules. Les grosses charrettes étaient
    attelées à des chevaux, les petites à des gens. Bêtes et humains
    se ressemblaient – même pas lourd, mêmes yeux fixés au sol,
    mêmes silhouettes penchées en avant sous le poids de leur
    charge. Les

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