Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Même pas juif

Même pas juif

Titel: Même pas juif Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jerry Spinelli
Vom Netzwerk:
a rigolé.
    — Qu’est-ce qu’il y a de drôle ? ai-je demandé.
    — Toi ! Tu t’es fait pipi dessus.
    J’ai baissé les yeux. Le devant de mon pantalon était
    humide. Le jus avait dégouliné de mes poches.
    — J’ai apporté à manger ! ai-je annoncé, tout fiérot.
    J’ai sorti mes trouvailles et les ai posées sur la table. Oncle
    Shepsel s’est emparé d’un tronçon de poisson. L’a reniflé.
    — Des harengs saurs, a-t-il dit.
    Sur son matelas, Mme Milgrom a soulevé la tête.
    Oncle Shepsel a dévoré sa portion sur le champ. Prenant
    chacun une part, M. Milgrom et Janina l’ont portée à Mme
    Milgrom. Ils ont ri en constatant qu’ils avaient eu le même
    réflexe. M. Milgrom a attiré la tête de sa fille contre sa poitrine.
    — Je m’occupe de maman, a-t-il murmuré.
    Janina a examiné son poisson à la lumière de la lampe. D’un
    90

    côté, la peau en était argentée. Elle a étudié le hareng sous
    toutes les coutures. Puis elle l’a léché. Comme un caramel. Une
    face puis l’autre. Enfin, elle a mordu dedans, du bout des dents.
    Un petit morceau. Tout en mâchant, elle a fermé les yeux, a
    souri, l’air rêveur. Elle a drôlement pris son temps pour
    terminer son repas.
    On n’entendait plus que le bruit des Milgrom mastiquant
    leur hareng fumé. Ils avaient gardé leurs manteaux, chapeaux et
    écharpes, n’ayant retiré que leurs gants, ce qui est mieux pour
    tenir le poisson. Leurs haleines glacées embuaient la lueur
    cireuse dispensée par l’ampoule nue.
    Le dernier morceau avalé, Janina a tendu le doigt vers moi,
    l’air mécontent.
    — Tu n’as pas mangé !
    J’étais en train de lui expliquer que j’avais dîné en chemin,
    lorsque le crépitement d’une mitrailleuse a déchiré la nuit. Tout
    proche. Suivi de hurlements, de coups, de piétinements,
    d’ordres.
    — Dehors ! Dehors !
    Levant les bras au ciel, Oncle Shepsel a crié en direction du
    plafond :
    — Ça y est ! C’est la fin ! C’est la fin !
    — La ferme ! lui a lancé M. Milgrom en aidant sa femme à se
    lever du matelas.
    Janina était plantée devant la porte, bouche bée. Dans le
    couloir, c’était un vrai bazar.
    — Ouvre ! lui a ordonné son père d’une voix calme. Avant
    qu’ils ne l’enfoncent.
    — C’est la fin ! C’est la fin ! continuait de brailler oncle
    Shepsel.
    J’allais déverrouiller la porte, quand M. Milgrom a dit :
    — Non, attends.
    Un gros sac en toile rebondi, brodé de dessins noirs et verts,
    gisait contre un mur. M. Milgrom a fouillé dedans et en a sorti
    un brassard bleu et blanc. Il l’a glissé autour de la manche de
    mon manteau.
    — Je me le suis procuré pour toi, a-t-il annoncé.
    J’ai ouvert. Des gens couraient, dévalaient l’escalier. Cris.
    91

    Verre brisé. Coups de feu.
    Nous avons gagné le rez-de-chaussée. Tremblante, Janina
    serrait ma main. La cour était illuminée par de violents
    projecteurs. Je me suis protégé les yeux. Janina s’est blottie
    contre moi. De l’autre côté des lumières aveuglantes, des voix
    perçantes lançaient des ordres :
    — Remuez-vous ! Et que ça saute ! Espèces de sales fils
    d’Abraham ! Salauds de sionistes ! Cochons de juifs ! Alignez-
    vous ! En rangs !
    Les gens se sont mis en lignes, comme une compagnie de
    soldats. Chouette ! On allait peut-être participer à un défilé !
    Nous avons trouvé nos places, nous sommes figés.
    — Silence ! Silence, sales porcs !
    — Redressez-vous, a chuchoté M. Milgrom. Ayez l’air en
    bonne santé.
    Mme Milgrom a gémi.
    La neige s’est mise à tomber. Sous l’éclat des lampes, les
    gros flocons prenaient des allures d’étoiles.
    — Ne bougez pas, a murmuré M. Milgrom.
    Je ne lui ai guère prêté d’attention. Il ne pouvait pas savoir à
    quel point il m’était impossible de rester immobile. Durant
    toute mon existence, je n’avais pas dû me tenir tranquille plus
    de cinq secondes d’affilée. Pourtant, j’ai essayé. J’étais encadré
    par M. Milgrom et Janina. Les soldats beuglaient. Avec mon
    nouveau brassard, j’ai pensé : «Je suis un juif, maintenant. Un
    sale fils d’Abraham. Ils me hurlent dessus. Je suis quelqu’un. »
    Je me suis efforcé d’écouter attentivement, de comprendre ce
    qu’ils braillaient, mais je ne saisissais pas grand-chose d’autre
    que des « sales », des « salauds » et des « juifs ».
    Il y a eu du remue-ménage au premier rang. Les cris se sont
    faits encore plus forts, plus perçants.

Weitere Kostenlose Bücher