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Même pas juif

Même pas juif

Titel: Même pas juif Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jerry Spinelli
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nuages qui lui sortaient de la
    bouche étaient dus au froid ou à son cigare.
    — Gros Henryk a de petits pieds, a assuré Youri. Enlevez-
    les.
    Kouba a retiré ses chaussures à Jon.
    Youri a balayé la neige avec sa semelle. Il a fait asseoir Gros
    Henryk sur le bord du trottoir. Lui a ôté ses sacs. Lui a enfilé les
    souliers de Jon et les a lacés bien serrés. Gros Henryk a tapé des

    7 Fichu, foutu, en allemand.
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    pieds comme un bébé en poussant un cri de protestation. Youri
    lui a attrapé les oreilles et les a tordues. J’ai bien cru qu’il allait
    les lui arracher. Les yeux de Gros Henryk ont failli lui sortir des
    orbites. Utilisant ses oreilles comme des anses, Youri l’a soulevé
    de terre et remis debout. Il l’a laissé couiner encore un peu, puis
    lui a demandé :
    — Tu acceptes de porter ces chaussures ?
    Gros Henryk a hoché la tête. Youri l’a relâché.
    Alors que nous partions, j’ai demandé à Youri :
    — Est-ce qu’un ange va venir chercher Jon ?
    J’avais entendu ça sous le tapis – qu’un ange emportait les
    morts dans un endroit appelé Paradis. Enos, qui m’avait
    entendu, a ricané.
    — C’est ça, ouais ! Tiens, le voilà, ton ange !
    Un cheval. Si maigre qu’il semblait constitué de baguettes et
    de papier brun. Ses sabots foulaient la neige et la bouillasse de
    la chaussée – clip ! clop ! Il était conduit par deux hommes
    crottés et tirait une charrette où reposait déjà un cadavre nu.
    Nous nous sommes retournés. L’un des hommes a attrapé Jon
    par les pieds et l’a tiré vers la carriole. Son comparse l’a pris
    sous les aisselles et, ensemble, ils l’ont balancé de droite à
    gauche. Ça m’a rappelé les orphelins qui sautaient à la corde.
    Soudain, ils l’ont lâché, et Jon a valsé en l’air avant d’atterrir sur
    l’autre corps. La charrette a repris sa route.
    — Où l’emmènent-ils ? ai-je demandé.
    — À ton avis ? a riposté Enos. Au Paradis, bien sûr !
    Je l’ai cru.
    — Qu’est-ce qui va lui arriver là-bas ?
    — Il va devenir un Bottes Noires, s’est esclaffé Kouba.
    Les autres ont ri bruyamment, même Youri.
    — Mais il est mort ! ai-je objecté, perdu.
    — Plus maintenant, a décrété Ferdi.
    — Personne n’est mort, au Paradis, hein, Youri ? a lancé
    Kouba.
    Tout le monde l’a regardé. Il n’a pas répondu.
    — Ils te remplissent d’air, et c’est reparti pour un tour ! a dit
    Kouba, déclenchant de nouveau l’hilarité.
    — Hourra pour le Paradis ! a hurlé Enos.
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    Nous avons tous levé le poing en criant hourra, même Gros
    Henryk. Puis le silence est retombé, s’est prolongé, seulement
    interrompu par Gros Henryk qui essayait ses nouvelles
    chaussures, clipclopant comme un cheval qui avance dans la
    neige et la bouillasse. Quand il éclaboussait les chevilles des
    passants, ces derniers nous jetaient de sales regards.
    L’un d’eux – un Bouse – a fait plus que ça.
    Les Bouses pullulaient. Les Bottes Noires les employaient
    pour garder les juifs du ghetto. Le plus fou, c’est que les Bouses
    étaient des juifs qui surveillaient des juifs ! Pour moi, ça n’avait
    aucun sens.
    Les Bouses n’avaient pas le droit de porter de revolvers,
    mais tous avaient un sifflet et un gourdin long comme mon
    bras. Ils avaient des uniformes, mais guère plus élégants que
    nos propres vêtements – pas de grandes bottes, pas d’aigles
    argentés. Et, bien sûr, comme ils étaient juifs, ils arboraient un
    brassard.
    Bref, ce Bouse-là s’est approché et s’est mis à aboyer en
    agitant son gourdin.
    — Vos brassards ! Où sont vos brassards ?
    Comme d’habitude dans ces cas-là, nous avons déguerpi,
    telle une bande de cafards. Sauf que, cette fois, l’un de nous s’est
    fait prendre. Gros Henryk. Il clopinait dans ses nouvelles
    chaussures et n’a rien remarqué, jusqu’à ce que le Bouse
    l’attrape par le bras. Entendant brailler, je me suis arrêté pour
    regarder derrière moi. Gros Henryk se protégeait la tête avec les
    mains tandis que le Bouse lui hurlait dessus en le martelant de
    son gourdin. Le Bouse était petit et fluet. Il devait lever les yeux
    pour crier après Gros Henryk.
    Soudain, un éclair de cheveux roux a flamboyé. Youri
    fonçait sur le Bouse ! Lui arrachant son bâton, il l’a bousculé en
    direction du trottoir, l’obligeant à reculer.
    Les passants se sont arrangés pour emprunter l’autre côté de la
    rue en faisant mine de ne rien voir. Le

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