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Même pas juif

Même pas juif

Titel: Même pas juif Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jerry Spinelli
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donc, pas de merde de cochon non plus. Soudain,
    une envie pressante m’a tenaillé le ventre. J’ai compris ce qui se
    passait. Nous étions là depuis très, très longtemps. Les gens
    avaient besoin de se soulager. Ils n’avaient nulle part où aller.
    Alors, ils le faisaient sur place. J’ai entendu le frémissement
    triste de leurs viscères se vidant le long de leurs jambes et
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    souillant la neige et, quand je n’ai plus pu me retenir, je les ai
    imités. Mais moi, je suis resté figé dans un garde-à-vous si
    splendide que j’ai eu envie de héler les Bottes Noires : « Hé,
    regardez-moi ! »
    Les vociférations ne faiblissaient pas. Maintenant, dans
    toute la cour, des gens tombaient, s’affaissaient, se relevaient en
    chancelant, s’écroulaient de nouveau. Il était facile de deviner
    qui était resté debout : ceux qui avaient les épaules et la tête les
    plus blanches. Le poids de la neige sur mon crâne commençait à
    peser. Je me suis demandé à quoi je ressemblais. Je me suis
    raidi encore plus. Je voulais conserver ma neige.
    J’ai pensé à l’ange de pierre. Je me le suis imaginé couvert
    de neige, deux crêtes immaculées s’élevant sur le bout de ses
    ailes. Tellement silencieux, tous les deux, ange et neige. J’ai
    prétendu être l’ange de pierre. Ai fermé les yeux. Me suis
    concentré. Au bout d’un moment, j’ai vraiment senti des ailes
    me pousser dans le dos. J’ai eu envie de les regarder, mais j’étais
    un ange de pierre, je ne pouvais pas remuer.
    Brusquement, je me suis retrouvé le nez par terre. M.
    Milgrom et Janina me relevaient.
    — Que s’est-il passé ? ai-je demandé.
    — Chut ! m’a ordonné M. Milgrom en me donnant de petites
    claques. Tu t’es évanoui. Tu es trop raide. Plie légèrement les
    genoux.
    Tout ça devenait un peu compliqué, sans parler de la
    fatigue. J’étais censé bouger sans bouger. J’ai essayé. J’ai fléchi
    les genoux. Les Bottes Noires hurlaient. Les bébés hurlaient. Les
    projecteurs hurlaient. Nous sommes restés debout si longtemps
    que mon pantalon a séché.
    Quand ils nous ont enfin libérés, le ciel au-dessus des toits
    virait au gris. Nous avons titubé dans la neige. Les foules se sont
    ruées vers les toilettes (il y en avait à chaque étage). Pour ma
    part, ça m’était un concept étranger. Je n’en avais jamais utilisé,
    jamais eu besoin. Mes toilettes, c’était l’univers.
    Je me suis hissé dans les escaliers avec les Milgrom. Oncle
    Shepsel et Mme Milgrom nous ont régalé d’un duo de
    gémissements, de plus en plus fort à chaque marche. Je les ai
    suivis dans la pièce. Je mourais de fatigue. Je me suis écroulé
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    sur le sol.
    Quand je me suis réveillé, j’ai cru que j’étais revenu dans la
    cour aux lumières aveuglantes, mais ce n’était que le soleil à
    travers le carreau. Oncle Shepsel, appuyé sur son coude, tendait
    le doigt vers moi.
    — Pourquoi dort-il ici ? piaillait-il. Il pue.
    — Je suis au regret de t’annoncer que tu ne sens pas la rose
    non plus, ces derniers temps, lui a rétorqué M. Milgrom.
    — Il ne fait pas partie de la famille ! a râlé oncle Shepsel en
    abattant son poing par terre.
    M. Milgrom l’a regardé droit dans les yeux.
    — Maintenant, si.

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    Kouba a soulevé le journal.
    — Il est mort.
    — Kaput7, a renchéri Enos.
    Debout dans la neige, nous entourions le corps de Jon. Je
    ne savais pas très bien comment ils pouvaient être aussi sûrs
    d’eux. Jon n’était ni plus gris ni plus silencieux que d’ordinaire.
    Alentour, les passants vaquaient, indifférents.
    — Ses chaussures, a dit Ferdi.
    Jon avait de bons souliers. Comme nous tous, sauf Gros
    Henryk. Lorsqu’une paire était usée, nous en volions une autre.

    — Quelqu’un va les prendre, a décrété Enos.
    — Mais c’est Jon, a protesté Olek.
    Il a voulu tendre le doigt vers le cadavre – seule son épaule
    a bougé. Parfois, Olek oubliait qu’il avait perdu son bras droit.
    — Donnons-les à Gros Henryk, a lancé une voix.
    Youri ! On ne l’avait pas vu depuis un moment.
    — Gros Henryk n’aime pas les godasses, ai-je objecté.
    C’était vrai. Avant même le ghetto, avant même l’arrivée des
    Bottes Noires, Gros Henryk s’était chaussé de sacs gris dans
    lesquels on met les pièces de monnaie à la banque. Noués
    autour de ses chevilles par des bouts de ficelle.
    — Elles ne lui iront pas, a souligné Ferdi.
    Je me suis demandé si les

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