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Même pas juif

Même pas juif

Titel: Même pas juif Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jerry Spinelli
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nous.
    Tous les matins, nous rampions hors des gravats et
    gagnions la rue. Parfois, nous restions ensemble, même si, la
    plupart du temps, chacun partait de son côté. En groupe, nous
    constituions une cible facile pour les Bouses, la police du ghetto.
    Nous n’avions pas de brassards, pas de papiers d’identité, pas
    de dossier, rien.
    — Nous n’existons pas, avait déclaré Ferdi, une nuit sous le
    tapis.
    — Va raconter ça à mon estomac, avait répliqué Enos
    calmement.
    Enos n’était pas le seul. Nous avions faim. Tous. C’était
    quelque chose de nouveau. Jusqu’alors, il nous avait
    simplement suffi de nous servir pour manger. Varsovie était
    notre vaste marché personnel. Y compris le ghetto. Au début, il
    y avait eu assez de nourriture pour qui avait de bons réflexes.
    Mais maintenant, après des mois d’hiver, nous nous retrouvions
    les mains et le ventre vides.
    C’en était fini, des dames arpentant les rues avec des miches
    dans des sacs en papier. Les boulangers ne cuisaient plus de
    pain, faute de farine. Il y avait bien des boutiques çà et là, mais
    leurs étagères étaient généralement vides. Quand des denrées se
    retrouvaient par hasard sur un présentoir, quelqu’un montait la
    garde devant, souvent armé d’un gourdin.
    — Ils nous affament, a décrété Youri un jour.
    — Pourquoi ? ai-je demandé.
    — Pour se débarrasser de nous. Nous éliminer, a répondu
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    Enos.
    — Pourquoi ils ne nous descendent pas, plutôt ?
    — Pour économiser les balles, a ricané Enos.
    Au commencement, il y avait eu des chevaux, dans le ghetto.
    Puis ils avaient disparu peu à peu. Parfois, ils resurgissaient,
    débités, dans la rue Gesia, devenue un marché en plein air. Tout
    le monde ayant de la nourriture à vendre savait que c’était là-
    bas qu’il fallait se rendre. Les gens se tenaient sur le trottoir,
    dans la neige. Posés sur une caisse ou un pupitre d’écolier, un
    jarret de cheval, des côtes de chien ou de chat, une boîte de sel,
    un bâton de réglisse, un oignon, une patate ou deux.
    Les vendeurs s’emmitouflaient dans leurs bras pour lutter
    contre le froid tout en criant :
    — À la graisse, à la graisse ! De la graisse d’oie ! Vingt
    zlotys !
    — Regardez mes os, mes jolis os ! Brisez-les ! Ils sont pleins
    de moelle !
    — Il est beau mon pigeon, il est beau !
    — Écureuil !
    — Goûtez mon chien ! Le chien le moins cher du ghetto !
    Les animaux avaient été d’abord vendus tels quels, plumes
    ou poils compris, aussi naturellement morts que les renards
    ornant encore les épaules de certaines dames. Puis, s’ils avaient
    du combustible pour entretenir un feu, les vendeurs s’étaient
    mis à les plumer, les dépecer et les rôtir. Les carcasses étaient
    exposées – noircies, craquantes, étêtées – et les marchands de
    crier encore plus fort, et les prix de s’envoler.
    Un jour, je me suis retrouvé rue Gesia en compagnie d’Enos.
    Les odeurs des animaux rôtis m’ont mis l’eau à la bouche. Je
    n’avais rien mangé depuis la veille. Des hommes armés de
    bâtons défendaient les étalages. Les Bouses déambulaient. Enos
    paraissait moins affamé que d’humeur joueuse. Se tortillant au
    milieu de la chaussée, agitant les doigts de tous côtés, prenant
    une voix haut perchée comme celle des dames en étoles de
    renard, il a lancé :
    — C’est parfait ! Vous me mettrez cette oie tout entière ! (Il
    montrait un oiseau à peine plus grand qu’un moineau.)
    N’oubliez pas ce joli écureuil, une demi-livre, s’il vous plaît… et
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    ces naseaux de cheval.
    Je riais, les hommes nous menaçaient de leurs gourdins en
    nous ordonnant de filer. Soudain, j’ai regardé le visage d’Enos et
    j’ai compris qu’il ne jouait pas. Il m’a adressé un clin d’œil.
    Entre deux coups de bâton, je me suis emparé d’une paire de ces
    oiseaux pas plus gros que des moineaux. Nous avons détalé
    jusqu’à ce que les hurlements s’estompent.
    Au fil du temps, les oiseaux et les chiens ont disparu du
    marché de la rue Gesia, mais les vendeurs semblaient ne jamais
    manquer d’écureuils. On n’a pas tardé à apprendre pourquoi.
    Les corps noircis, craquants et étêtés posés sur les caisses
    n’étaient pas des écureuils : c’étaient des rats. Pourtant, les
    marchands s’évertuaient à toujours crier la même chose :
    — À l’écureuil ! Le bel écureuil !
    Une fois que j’étais seul, j’ai volé deux rats

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